— Et toi, si tu pouvais être de la grandeur et de la grosseur que tu veux, tu serais comment? Tout petit? Très très grand?
C’était l’amorce de l’un de nos projets.
« Je voudrais être vraiment minuscule pour espionner mes parents. Moi je voudrais être juste assez petit pour me cacher dans une boîte de céréales! Je voudrais être un géant pour aller à Walt Disney en un seul pas… »
Tes amis m’ont répondu ce qu’on répond habituellement quand on a 7 ans. Des réponses qui font sourire! Puis est venu ton tour.
— Moi, si je pouvais être la grandeur que je veux, je retournerais dans le ventre de ma mère, m’as-tu dit.
Ta réponse était belle, poétique. Mais aussi très intrigante. J’avais besoin de comprendre.
— Ah oui? C’est une bonne idée! Mais pourquoi? Tu crois qu’on est bien dans le ventre de notre maman?
Tu n’as pas hésité. Tu m’as répondu du tac au tac, me laissant figée sur place.
— Non, c’est pas ça. Je voudrais retourner dans le ventre de ma mère comme ça je n’aurais pas besoin de vivre. Ce serait mieux.
J’ai été sciée en deux. Les autres n’avaient pas trop compris et étaient impatients de dévoiler leurs idées. Je me suis giflée intérieurement pour me ressaisir et j’ai donné la parole au suivant, comme si rien n’était. Comme si tu ne venais pas de déclarer publiquement ton mal de vivre plus grand que nature.
Je me suis demandée « Et si ces mêmes paroles étaient sorties de la bouche de mon propre garçon du même âge, qu’est-ce que j’aurais fait? ».
Si tu avais été mon garçon, je t’aurais pris par la main pour que ma présence t’apaise. Je t’aurais saoulé de câlins pour que l’amour te réconforte. Je t’aurais amené à la plage, pour que tu entendes la beauté. T’aurais fait faire du deltaplane, pour que tu sentes dans tout ton corps combien la vie est grande.
Je t’aurais souri, jour après jour, jusqu’à ce que tu attrapes ma joie. J’aurais soumis tes oreilles aux plus belles chansons, pour que tu aies envie de danser. Pour que l’utérus de ta mère, exigu et incolore, ne soit plus ton premier choix de destination.
Mais toi, tu n’es pas le mien. Tu ne m’appartiens pas. Aurais-je assez de nos 180 jours ensemble pour te réconcilier avec la vie?
Je m’y applique chaque jour un peu. En ne te laissant pas baisser les bras quand tu te sens incapable d’apprendre. En passant mes midis dans la *tente avec toi pour m’assurer que tu saches lire. En m’extasiant devant tes progrès. En encensant tes réussites et ta personne.
Je m’y applique en t’ouvrant mes bras quand tu pleures et en t’aimant encore quand tu cries trop fort.
Je m’y applique en te protégeant des autres qui, du haut de leur vie normale, ne comprennent pas…
J’ai envie de te dire que la vie est dure mais généreuse aussi. Longue parfois mais tellement courte. Amère souvent mais surprenante. Belle.
Je ne sais pas si je pourrai t’en convaincre, mais définitivement, j’en fais ma mission.
Tu n’es pas à moi. Nous n’avons plus que six mois.
Six mois dans lesquels chacun de tes rires sera une victoire.
* Une tente est installée dans ma classe comme coin de lecture. J’y fais aussi de la récupération avec mes élèves le midi.
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Alek Desjardins dit
Tu es si bonnes! Je ne sais pas comment tu fais pour t’occuper de tous cela. Je ne sais pas si tu m’en donnerais le droit, mais si je le pouvais, je crierais sur tout les toits que je suis fier d’être ton fils.
Julie dit
Oh que oui je t’en donne le droit ! Merci Alek, merci pour ton coeur serviable et pour tout ce que tu es. Je t’aime tant !
Maryse dit
On se sait jamais la puissance d’une telle attention sur le cœur de cet enfant aimé par toi mais aussi sur toute sa vie . Julie continue de faire ce que Jésus ferait à ta place devant ces petites âmes si fragilisées par la douleur de vivre …
Kim dit
Une réponse troublante, qui nous rappelle qu’il y a des enfants qui vivent un quotidien difficile au point de croire qu’il est mieux de ne plus exister…Cette réponse m’a ému.
Votre volonté d’ensoleiller les journées de cet enfant témoigne votre beauté et votre Grandeur. Votre amour pour tous ces enfants me touchent profondément.
Un jour, cet enfant dira que Julie, son enseignante du primaire, l’a rassuré, donné des outils et de l’amour pour qu’il puisse bâtir son propre bonheur…Et il dira aussi que oui, la vie est belle.
* J’avais eu une enseignante comme vous il y a 30 ans et je pense encore à elle. Je souhaite que tous les enfants puissent avoir un prof comme vous, surtout les miens ;0)…même s’ils ont tout plein de câlins ! <3
Nadyne dit
Wow ! comme c’est touchant. Bravo à toi de l’avoir entendu, compris et d’agir. Au mieux que tu le peux. Cet enfant est très privilégié. : )