Bien sûr que nous sommes volubiles, c’est un préalable à notre travail. Nous parlons beaucoup, souvent fort, et ce depuis notre plus jeune âge. Nous avons eu droit, à répétition, au classique commentaire « Le bavardage doit cesser » dans nos bulletins. On repère facilement la plupart d’entre nous dans une foule; nous sommes cette personne qui raconte, parfois longuement, qui prend le contrôle de la situation, qui explique et réexplique avec divers synonymes, un même point de vue. Que voulez-vous, c’est plus fort que nous, nous sommes enseignants!
Mais, croyez-le ou non, il nous arrive (d’accord, c’est quand même rare) d’être sans mot! Bouche bée! Mes élèves ont 6 et 7 ans. Leur perception de la vie est inachevée et souvent drôlement incohérente. Presque toujours naïve, parfois belle, parfois tordue, parfois bien sombre. Lorsqu’ils me partagent, chaque jour, des petites bribes de leur univers, je mets un pied dans leur monde et, habituellement, j’esquisse un sourire. Mais on s’habitue à ces petits univers farfelus. Or, après huit ans, ils arrivent encore à me surprendre, par des répliques tellement inattendues! Alors, les mots me manquent et je prends parfois quelques longues secondes avant d’arriver à réagir. Parfois parce que c’est trop drôle, d’autres fois trop sincère et, malheureusement, il arrive parfois que je reste sans voix devant leur chagrin et leur vie sans queue ni tête…
Bouche bée de surprise
Le vendredi, c’est les présentations. Chaque enfant peut, s’il le désire, présenter un objet à la classe. Cette journée-là, Jacques (nom fictif pas full original) avait apporté son « kit de police ». Tout fier, il brandissait ses menottes plaquées or et sa matraque de 10 centimètres en plastique. Juste avant de terminer sa présentation, il me demande, il me supplie :
– Madame, est-ce que je peux faire semblant d’arrêter quelqu’un?
Un peu perplexe, je lui donne mon accord. Tout content, il se dirige vers son copain et le menotte vigoureusement en clamant, haut et fort :
– Au nom de la loi, je vous arrête pour crimes SEXUELS! Vous avez le droit de garder le silence.
Puis-je vous dire que j’ai eu beaucoup de difficulté à retomber sur mes pattes! Ce fut, clairement, la présentation la plus marquante de cette année-là. Et ce pauvre copain qui aurait tellement voulu qu’on lui explique ce que c’est un « crime sexuel »…
Bouche bée devant mes quatre vérités
Les enfants sont parfois experts pour nous ramener les pieds bien sur terre. Ça peut ressembler à ça :
« Madame, mon père veut pas que j’vous l’dise mais il trouve que vous stationnez vraiment, vraiment mal! »
Ou encore à ça (avec un doigt enfoncé dans mon ti-bedon):
« C’est bizarre, tu dis que ton bébé est sorti de ton ventre mais il est gros comme s’il était encore dedans. C’est vraiment bizarre ».
Bouche bée d’horreur
J’aimerais ne jamais être bouche bée d’horreur. Malheureusement, cela m’arrive de plus en plus fréquemment et pourtant, je travaille dans un milieu scolaire très « sain ».
« J’aimerais vous présenter mon ptit cahier personnel. Quand je vais chez mon père et qu’il me fait du mal, je l’écris dedans. Ça me fait du bien et je ne suis pas obligée de le montrer à personne. »
« L’autre jour, mon père a vraiment ri. Il a donné un coup de poing à ma mère et son sang a revolé partout. Il en avait même sur lui. Il a trouvé ça full drôle. Mais pas ma mère. Elle, elle pleurait. »
On aimerait parfois avoir le droit de les ramener à la maison… Juste un peu. Leur donner un sain répit, quelques jours. Le temps de retrouver les mots justes et de reprendre son souffle.
Bouche bée d’amour
Bouche bée d’amour, c’est quand cet enfant, avec qui on croyait impossible d’entrer en relation, nous dit pour la première fois, « Je t’aime Madame, je t’aime vraiment trop ».
Bouche bée d’amour, c’est le petit tannant, qu’on a puni toute la journée, qui vient nous serrer fort avant de partir. Comme s’il nous disait : « Je sais bien que tu m’aimes quand même ». Et il a tellement raison…
C’est cette maman, attentionnée, qui a cru bon nous préparer une belle brioche, en ce dur matin où on n’a pas eu le temps de déjeuner. Devant ce petit garçon, fébrile, qui nous la tend, les mots sont juste insuffisants.
Bouche bée d’amour, ça arrive souvent. Alors, qu’on se le tienne pour dit, il existe encore un moyen, sûr et efficace, de faire taire un prof…
Marie-Josée dit
Wow! Je pleure de rire et d’horreur et de tendresse l’un à la suite de l’autre et en même temps. Tu écris bien, merci. Je suis aussi au premier cycle et j’ai travaillé dans TOUS les milieux. Tu es tellement juste!
Je vais tout te lire!
Caroline Martel dit
J'ai une plainte à faire à ton blogue…. il ne reveint pas assez souvent!! 2 post par semaine est-ce que ça serait raisonnable ???
Tellement beau à lire ce post mais pour le bouche bée d'horreur… au secours…. trop dur….
admin dit
Caro, t’es fine! 2 fois semaine, peut-être dans les vacances d’été! Pour l’instant, je n’ai malheureusement pas le grand priviège d’avoir le temps! Continue de m’aimer s’il te plaît, même si c’est pas souvent!!!
valérie dit
Le paragraphe "Bouche bée d’horreur" m'a mis les larmes à l'oeil… oufff! Mais le "Bouche bée d’amour" et la brioche m'a vraiment touchée aussi; on ne se rend pas toujours compte que de petits gestes peu se transformé en plus gros..deplus ça fait plaisir à 3 personnes à la fois. 😉
admin dit
Cette brioche valait de l’or, merci encore!
admin dit
À votre tour, profs ou même parents, vous avez sûrement de ces moments où vous êtes restés sans voix….