Quand tu cherches ton air, je cherche le mien. Je te couche près de moi pour que nous puissions « ne pas dormir » ensemble.
Je scrute ta respiration, j’observe ta poitrine qui se soulève. Je maintiens ta tête en hauteur pour que tu sois moins oppressé. J’entends les crépitements que fait l’air qui s’infiltre difficilement en toi. Je contemple le petit trou qui se forme dans ton cou à chaque inspiration et ta peau qui semble aspirée entre tes côtes. Ta respiration trop rapide rythme nos nuits. Ton cœur bat à toute vitesse, comme si tu courais depuis des jours.
Quand tu cherches ton air et que je n’en peux plus de m’inquiéter, nous partons pour l’hôpital. À chaque fois, on nous y accueille rapidement, on nous dit que tu es un cas « prioritaire », que nous aurions dû venir avant…
On nous installe dans un coin et commence l’attente. Je te serre contre-moi dans le porte-bébé parce que c’est le seul moyen de te calmer mais surtout, de sentir ton thorax se gonfler et d’arrêter de craindre que tu cesses de respirer. Je te chante des chansons. Avec le temps, je n’ai même plus peur que les autres m’entendent. Je suis une maman; je chante pour mon bébé. Je les entends moi aussi. Certains se plaignent, d’autres sont silencieux. Il y a des pleurs et des colères. Des visiteurs chaleureux et parfois bruyants.
Le son des machines accompagne notre solitude. Les fils qui s’échappent de ton petit corps s’emmêlent dès que je te pose sur le lit aux airs de prison, avec ses grands barreaux. Alors pour éviter que tu t’empêtre, je te garde contre moi. Je ne dors pas.
Les infirmières vont et viennent, veillent sur toi. Elles te réveillent dès que tu trouves le sommeil.
Quand tu cherches ton air, je n’ai plus toute ma tête. Parfois je voudrais me sauver de l’hôpital avec toi sous le bras. Parfois j’oublie que les médecins et le personnel sont nos alliés parce qu’ils nous dérangent avec leurs bruits, leurs règlements, leurs procédures. Quand tu iras mieux et que je retrouverai toute ma tête, je m’en voudrai d’avoir à ce point manqué de reconnaissance. Mais pour l’instant, je rêve de rentrer à la maison avec toi qui gazouilles et moi qui dors avec papa.
Quand on revient enfin, après quelques jours, je me rappelle que la vie m’attend. Je dois rattraper le travail au bureau, compenser le manque d’attention auprès de mes autres enfants, faire l’épicerie et reprendre le train-train. Mais je n’ai jamais vraiment le temps d’oublier qu’il se peut que l’air te manque à nouveau.
Les rhumes sont nos ennemis. Peu le comprennent. On demande à nos invités, à notre entourage de nous avertir lorsqu’ils sont malades. Ils ne le font pas toujours. Ils te caressent avec leur nez qui coule et toussent en te saluant. Je deviens folle. Je ne veux plus voir personne. Je sais que quelques jours après leur passage, nous serons encore à l’hôpital. Ils t’aiment pourtant. Mais ils ne comprennent pas.
Quand tu cherches ton air, je ne suis plus rien d’autre que ta mère. Rien d’autre qu’un abri de chair qui veut t’envelopper et te faire vivre. Mes prières sont parfois fortes, parfois silencieuses, mais s’élèvent presqu’à temps plein.
Quand tu cherches ton air, je ne suis pas seule. Ton papa est là. Il fait tout ce qu’il peut. Il fait tout ce qu’il faut. Mais il n’a pas mal au ventre comme moi, qui t’ai portée. Il a mal ailleurs, entre sa tête et son cœur.
Quand tu cherches ton air, le cordon ombilical se renoue entre toi et moi.
Depuis maintenant plusieurs mois, notre vie s’est calmée. L’air te fait de moins en moins défaut. Je commence à oublier l’odeur de l’hôpital et la couleur de ses murs. Je commence à te laisser avoir le rhume sans céder à la panique. Tu vas mieux, mes prières ont été entendues. Mais je n’oublie jamais ces nuits passées contre toi, la chaleur de ton petit corps et mon désir de souffler dans tes narines tout l’air qui m’appartient.
Maintenant que tu vas mieux, j’entends qu’autour de moi d’autres vivent les mêmes choses. Scrutent la poitrine de leur enfant, veillent de longues nuits à l’hôpital, comme je t’ai veillé toi, comme j’ai veillé ton frère ainsi que ta sœur. Vous avez tous pris bien de temps à maîtriser l’art de la respiration… C’est maintenant un enfant sur dix à ce qu’on dit, un vrai fléau!
Je me souviens alors que j’aurais aimé quelqu’un qui nous comprenne, quelqu’un qui sache le marathon que nous courions, l’angoisse que nous abritions.
Alors j’ouvre mes oreilles à ceux qui me racontent et j’écris ces quelques mots pour leur dire que je comprends. Que l’asthme juvénile dure rarement pour toujours. Que le jour viendra où leur petit inspirera à plein poumon sans que rien ne l’entrave. Et aussi, que mes prières s’élèvent à nouveau, cette fois pour des enfants qui ne m’appartiennent pas.
Je lance ces quelques mots à tout vent en espérant qu’ils apportent un peu de courage à ces parents qui dorment si peu, un soupçon de réconfort à ceux qui s’épuisent et se demandent si tout cela aura une fin…
Il y aura une fin. Elle sera heureuse. Alors courage. Et profitez de ces instants, collés contre votre enfant, parce qu’une fois l’orage passé, il se peut que l’odeur, la chaleur de sa peau vous manque terriblement.
Comme quoi même dans la maladie, on peut trouver son compte!
p.s. Mon petit frère et ma charmante belle-sœur, une pensée spéciale pour vous…
À voir aussi:
Le fait médical: Qu’est-ce que l’asthme? par Jean-Marie Tschopp et Olivier Chavaillaz
Angélique dit
Magnifique texte je me reconnais tellement la dedans énormément de courage à toi nos enfants et aux parents
Helen Desjardinss dit
Tres chere et belle Julie !!!!
Je te comprends tellement !!!
Pour avoir vécu ces angoisses!!
J’ai du apprendre a me calmer les nerfs et l’angoisse!!
Le md m’a dit en m,entendant un soir au téléphone!!
Mais madame il faut vraiment vous calmer car vous angoisser votre enfant!!
J’ai ravaler!!prier!
Dieu m’a vraiment aider!!
J’ai appris a respirer moi -meme!!
Et oui ca passe mon bébé a grandit et a maintenant 38 ans!!
Mireille Blanchet dit
Oh Julie. J’écris rarement des commentaires suite aux articles que tu fais mais celui-ci m’a énormément touché, au point d’en pleurer et d’en réciter quelques passages à Daniel afin qu’il comprenne mes émotions. Sans pouvoir comprendre l’infime parcelle des difficultés que vous avez vécus, mon empathie de maman ne peut m’empêcher d’être remplie de compassion et de douleur pour vous, sans oublier de remercier le ciel pour votre et notre santé actuelle. Merci pour ce partage. Mireille
Julie dit
Merci beaucoup Mireille d’avoir pris le temps de me l’écrire. Entre mamans, il y a bien des choses qui nous touchent et que l’on peut comprendre. Merci.
pash dit
beau texte, touchant
Oli dit
Merci Julie pour ce beau texte et pour ta « pensée spéciale » ! Ça nous va droit au coeur !
Julie dit
XXX
Stacy dit
Ouf… ça pogne entre la tête et le cœur comme tu dis! Merci mon Dieu pour la santé de mes enfants et je te lève mon chapeau pour la maman présente et attentionnée que tu es. Je suis contente de savoir que tes enfants vont mieux et même si je ne comprends pas pleinement la souffrance et la crainte que vous avez vécu pendant ces années, je peux comprendre un peu la douleur du cœur qui nous serre. Jeremy a eu ses quelques épisodes de Faux-Croupe quand il était tout jeune et d’entendre ses poumons se serrer et son air siffler n’est guerre un souvenir qu’on veut avoir parmi les nôtres.
Encore une fois, bravo pour ta plume… ton don que tu as de nous faire sentir les choses comme si on est là.