« Mon papa, quand il joue avec moi, il est vraiment drôle! Il m’attrape, il me chatouille, on joue à la bataille. »
C’est ce que nous racontent plusieurs enfants lorsque, à l’approche de la fête des pères, on leur demande de nous parler de leur papa. Ces petits gestes, que vous croyez banals, mais qui veulent dire tellement pour eux.
Quand j’étais petite et qu’on me demandait de parler de mon papa, je disais que, même s’il avait l’air très sérieux, mon papa était vraiment drôle dans le fond. Je parlais des tours de couvertures qu’il nous faisait faire, de la « prise du Maki » qui consistait à nous brasser jusqu’à la limite du supportable et de la grosse voix qu’il prenait quand il nous lisait des histoires (histoires qu’il modifiait à sa guise d’ailleurs). Mon papa a été, comme il se doit, un roc, une forteresse pour ses 3 enfants. Il était présent, il était constant, il aimait inconditionnellement. Je ne me souviens pas, même dans nos plus grandes chicanes, avoir un instant douté de son amour. Je me souviens surtout de cette fierté dans ses yeux. Fier à chaque étape de ma vie, à chacune de mes réussites, fier même lorsqu’il m’arrivait de compter dans mon propre panier au basketball!
Malheureusement, années après années, mes élèves me font clairement comprendre que les papas de cette espèce sont menacés de disparaître. Pour plusieurs, la fête des pères est devenue un moment pénible et plein de tabous. Alors que la plupart de leurs copains préparent avec enthousiasme leurs petites surprises, leurs charmants messages, certains se voient confrontés à leur déception, leur tristesse, leur douleur, leur peur…. Parce que trop de papas ont failli à la tâche.
Pour certains, c’est l’espoir qui est difficile. Un espoir irrationnel et douloureux. C’est le cas pour cette petite fille qui n’a jamais rencontré son papa. Elle a une photo de lui, elle a quelques anecdotes…. Quelques débris d’un papa qui ne l’a pas été. Évidemment, je prévois toujours le coup! Je prépare une alternative pour que certains élèves puissent faire le bricolage pour une personne de leur choix, une personne importante pour eux qui ne serait pas leur papa. Mais cette petite m’a profondément surprise. Elle a insisté pour faire le même bricolage que les autres. Parce que, au plus profond d’elle-même, elle ne peut s’empêcher d’espérer. Espérer que son papa, où qu’il soit, pense à elle. Qu’un jour, peut-être, il se souviendra qu’elle existe. Alors elle lui écrit un message. Un message qu’il ne lira jamais.
Et puis, il y a cette autre fillette dont papa a dépassé les bornes. Et pourtant, son enthousiasme est plus que débordant :
-Mon papa, c’est sûr qu’il va pleurer de joie! C’est sûr parce qu’il m’aime TELLEMENT là! Je suis tellement importante pour lui, il va capoter quand il va voir mon cadeau….
Transparente comme l’eau claire, je vois bien qu’elle essaie de se convaincre. À la seconde où un enfant doute de l’amour de son père, il perd automatiquement une grande part de sa valeur. Il ne vaut plus la peine. Il n’est plus important. Alors elle se bat, cette petite, pour continuer de croire qu’elle vaut quelque chose. Qu’elle vaut, peut-être, l’amour de son papa.
Tout comme l’espoir, le pardon est fort dans le cœur des petits. À l’autre bout de la classe, les yeux humides, une autre petite vit un moment difficile. Séparée de son père depuis plusieurs mois, elle hésite à lui écrire un mot. Pas parce qu’elle n’a rien à lui dire, juste parce qu’elle a peur de ne jamais pouvoir lui remettre. La crainte ravive en elle cette douleur qui se tait rarement. Brave, elle choisit de faire le bricolage pour son papi. Je l’encourage dans ce sens…
Cinq minutes plus tard, elle se tient devant moi, en larmes :
– J’ai changé d’idée! Parce que si je revois mon papa et que je ne lui ai pas fait le bricolage, il sera vraiment triste.
Pas de haine, pas de mépris, pas de rancune. Elle pardonne et ne voudrait surtout pas le décevoir. Pourtant, lui l’a bien déçue. Mais, comme pour tant d’autres, son papa n’a pas cessé d’être superman!
Bien sûr, il y a tous ces enfants « normaux » qui gribouillent avec joie leurs dessins et leurs messages mais, une année après l’autre, je trouve qu’il y a trop de peine pour ce qui devrait être une « fête ». Trop de doutes pour de si petits enfants. Trop de douleur et trop d’angoisse.
« Moi, je n’ai pas de papa », m’a dit un jour un de mes élèves. « En fait, j’en avais un mais il ne veut pas me voir. J’en ai aussi eu un autre, mais il ne veut plus me voir non plus parce qu’il s’est chicané avec maman…. »
La fête des pères est maintenant pleine de non-dits. On ne peut pas dire à ces enfants toute la vérité, ce serait les détruire prématurément! Alors on jongle avec les tabous pour préserver ce qui leur reste d’espoir, d’estime, de confiance.
À tous les papas qui sont de vrais papas. Qui sont bien imparfaits (qui ne l’est pas) mais qui sont là! Fiers de leurs petits, présents quand ça compte, vous offrez à vos enfants le cadeau le plus grand! Si vous les entendiez parler de vous, vous comprendriez. Vous êtes le plus beau, vous êtes le plus grand. Vous êtes fort, intelligent, indispensable!
Dans votre œil fier, ils comprennent qu’ils sont capables. Vos chatouilles leur disent qu’ils valent la peine. Votre présence leur donne confiance. Vos réprimandes les sécurisent, les limites que vous leur imposez leur apprennent à vivre.
Moi, papa, je n’ai pas de doute et je n’ai pas peur. Je sais que je compte, que je peux, que je vaux… Grâce à toi.
Merci papa.
BONNE FÊTE DES PÈRES!
Mamande3 dit
Ouf.. tellement touchant! Je n’aurais jamais imaginé ce que vous pouvez vivre en tant qu’enseignantes. Je ne peux m’empêcher de faire le parallèle avec la santé mentale et les hommes. Les hommes qui font mal parce qu’ils ont mal.
Mon conjoint fait partie des papas en or pour qui l’amour et la présence pour ses enfants est une valeur fondamentale. Mais en 2010, notre famille a été ébranlée par la maladie grave d’un de nos enfants. L’épuisement et l’angoisse causés par les nombreux traumatismes combinés à un TDAH non diagnostiqué à ce moment (chez mon conjoint), l’ont laissé mal en point… Il a souffert énormément de culpabilité car il ne pouvait plus être présent pour ses enfants émotivement, était irritable, distant, anxieux… Et moi j’ai souffert de le voir souffrir et d’en voir souffrir mes enfants. Et quand je te lis, je réalise encore plus comment ça pu être difficile pour eux.
Notre famille va mieux, mais la détresse des hommes reste un véritable problème. C’est si difficile de ne pas être le roc qu’ils savent qu’ils doivent être et d’aller chercher de l’aide! J’admire le père de mes enfants, il a eu du véritable courage et si je sais que la relation entre lui et ses fils a souffert, que la fête des pères a peut-être été plus difficile, je sais que leur relation se reconstruit et que ce qui compte est la sincérité de l’amour qu’il a pour eux.
Geneviève dit
C’est beau et triste à la fois. Si bien écrit comme toujours,comme toujours. Xx
Daniel Deslauriers dit
Ouf! J’aime tellement mes filles!
maryse duquette dit
tes textes sont toujours mûris à point et dégagent l’odeur qui attire … merci Julie d’éveiller nos empathies trop souvent aveuglées par la vie qui courent avec toutes ses urgences .
Petite Fleurs dit
C’est en plein ça…je peux tellement me voir en toi, dans la façon dont tu vois ton papa…mais malheureusement je fais aussi partie des mamans dépourvues…espérons qu’un beau-papa merveilleux saura les remplir.
Julie dit
C’est difficile pour une enseignante, mais ça doit être bien pire pour une maman! Si ce n’est pas un beau-papa, il y a parfois des grands-papas en or, des oncles ou des parrains investis qui font des miracles… Bon courage.
Stacy dit
Ayoye… je n’ai pas la chance de te lire souvent, sauf lorsque quelqu’un de mon entourage partage une parcelle de ton blog! Tu m’as fait verser des larmes aussi. Nous sommes souvent dans notre vie, sans trop regarder et ressentir tout ce qui se passe autour. Nous sommes pris dans notre train-train quotidien et voyons cette fête au premier degré… mais ouf, de voir l’œil d’une qui a accès à tellement de souffrances livrée avec tant d’humilité de la part des enfants, ça nous fait encore plus réaliser à quel point vous êtes en relation avec nos petits mousses… Merci de prendre le temps! De prendre le temps de les écouter, de prendre le temps de prévoir un plan de rechange… de simplement prendre le temps pour leur petite personne. Merci!!!
Julie dit
C’est vrai que la transparence des enfants nous oblige à voir plusieurs réalités bien en face et c’est parfois difficile….Merci pour les encouragements, les voir sourire et notre plus grand salaire!
Et, en passant, vous pouvez vous inscrire sur la page d’accueil de mon blogue pour recevoir mes publications…si ça vous intéresse!
Pash dit
Merci Julie
Syndie dit
Ça y est, tu viens encore de me faire pleurer 😉
Merci pour ta compassion envers ses enfants qui ont perdu une partie d’eux-mêmes. Nos petits cocos qui vivent ça ont le coeur gros à cette période de l’année, et leur maman se sente bien dépourvue.