L’été fait semblant d’exister encore. 25 degrés, un samedi de septembre. Je reconnais très bien la supercherie; je sais que l’automne est à nos portes et que la chaleur du soleil me manquera cruellement de longs mois durant. Alors, bien sûr, je me crinque!
Pas question de rester à la maison! Allons profiter de ce bluff monumental et se faire croire que juillet existe encore.
Balade en vélo. Les enfants sont hystériques. Ils veulent tous venir. Mon Adonis me regarde avec un air que je comprends tout de suite : ça lui tente à peu près autant qu’un examen de la prostate… Je n’insiste pas. Je suis tellement de bonne humeur de toute façon.
Ma grande de 8 ans saute sur son vélo, mon moyen de 6 ans se coince le menton en attachant son casque (un grand classique) et j’embarque mon tout petit de 2 ans dans la poussette. Je n’ai pas de vélo. Quand je dis qu’on fait du vélo en famille, ça veut plutôt dire les enfants font du vélo et maman court derrière avec la poussette. Gracieusement, de préférence (je ne peux rien garantir de ce côté là).
On a l’habitude de se limiter au quartier. Mais aujourd’hui, tout est possible : On se rend chez Grand-maman! Je suis en feu. Les enfants sont aux anges.
Les règles sont claires, établies depuis longtemps. Les deux grands doivent s’arrêter aux intersections et m’attendre (ou attendre mon signal vocal) pour traverser.
Comme je ne suis pas la joggeuse du siècle, il arrive que je les perde de vue. Jamais très longtemps. Mais j’ai une confiance absolue; je sais qu’ils m’attendront à la prochaine intersection. J’ai la foi. Alors je fais mon petit jog avec bébé le cœur bien en paix.
Comme je ne suis pas la seule à m’énerver le poil des jambes avec ce superbe soleil de septembre, les piétons et autres cyclistes circulent abondamment. Une véritable épidémie d’horribles cuissards.
Après quelques centaines de mètres à peine survient un premier commentaire.
– Vous êtes pas stressée madame! Moi j’aurais peur de laisser les miens aller comme ça!
C’est une petite maman, environ mon âge, qui se promène avec ses deux enfants à vélo. Ceux-ci restent à près d’un mètre de leur maman et sont également accompagnés de la grand-maman qui supervise le tout de manière rigoureuse. Leur niveau d’anxiété est palpable.
J’hésite entre être super méga fière de mes enfants débrouillards ou me sentir méga coupable de leur donner autant de liberté.
Après une courte hésitation, je choisis de me dire que cette madame a été gravement atteinte par la panique générale.
Mais voilà que quelques mètres plus tard, d’autres piétons réagissent. Plus âgées ceux-là.
– Félicitation madame, vos enfants sont vraiment obéissants… Mais, c’est quand même risqué de les laisser aller comme ça, non?!
Les laisser aller? Non roulons en grande partie sur la piste cyclable et quand ce n’est pas le cas, je suis là, juste quelques mètres derrière! Je leur rappelle à chaque intersection de rester à l’intérieur de la ligne jaune. Je les rejoins en courant au coin de chaque rue dans un délai inférieur à 3 minutes. Le monde est fou!
Je commence à me demander ce qui ne tourne pas rond. Mais surtout, CHEZ QUI est-ce que ça ne tourne pas rond? Est-ce que c’est moi qui exagère?
Mission accomplie, les enfants débarquent chez grand-maman et grand-papa vachement fiers de leur exploit. Leur maman suit quelques minutes plus tard. On se bourre de bonbons comme le veut la tradition et vient l’heure de repartir.
Je choisis de faire fi des commentaires et de retourner de la même manière que nous sommes venus. Le vent est doux. Leurs rires explosent de partout. Leurs joues se rougissent. Juste assez. Je jubile.
– Madame, est-ce que ce sont vos enfants?
Sur la piste cyclable, un homme s’est arrêté, l’air paniqué.
– OUI, oui, ce sont les miens!
– Ah! Fiou!
Son visage en dit long. Il semble scandalisé. Il ne peut s’empêcher d’ajouter :
– Ils sont un peu jeunes, non?
Je cache difficilement mon exaspération. Ma progéniture est-elle vraiment en danger alors que je me promène, l’esprit serein? Est-ce je deviens vieille et sénile, incapable de juger du bien-être de mes enfants?
Pour le chemin qui reste, je suis tentée de resserrer les règles, d’exiger qu’ils restent plus près de moi.
Puis je me ressaisis. Mon seul motif véritable est d’éviter les jugements. Vais-je priver mes enfants de cette confiance qu’ils ont durement gagnée seulement pour préserver mon image de mère responsable et mon orgueil? Ce serait tellement injuste.
Alors je les laisse filer seuls vers la maison, prête à répondre au prochain qui aura quelque chose à en dire.
Bien sûr, on ne laisse pas aller ainsi ses enfants du jour au lendemain. La confiance prend des années à se bâtir. Dès leurs trois ans, mes enfants ont été éprouvés et testés une petite consigne à la fois. Ce fut d’abord de tenir la poussette quand on se promenait. Puis, de rester près de moi. Ensuite ils ont eu le droit de se rendre au prochain « stop » et de m’y attendre. Vers 5 ans, ils ont commencé à aller chercher le courrier…. Etc, etc.
J’étais toujours là, à surveiller les choix qu’ils feraient. À chaque mission accomplie, je leur faisais une danse de la joie! J’ai alors pu contempler, avec le temps, la confiance qui s’installait entre nous mais aussi (le plus beau) celle que mes enfants ont commencé à avoir en eux-mêmes…
Quand on garde constamment son enfant en laisse, on lui dit: Je t’aime beaucoup mais je ne pense pas que tu sois capable de faire quoique ce soit sans moi.
Sans le vouloir, on lui fait savoir clairement qu’on le considère gravement incompétent. Qu’il n’a pas ce qu’il faut. Qu’il n’est pas capable. Malgré toutes nos bonnes intentions, je vous le garantis, c’est ce qu’il en comprendra!
Quand je laisse mon petit se rendre au bout de la piste, je lui fais savoir que je crois en lui. Du coup, il se met à croire en lui-même. C’est magnifique. C’est un peu épeurant, d’accord. Mais je pense que c’est nécessaire à la construction de l’estime personnelle.
Ainsi, il ne doutera pas constamment de ses capacités. Et sachant que nous lui faisons confiance, il fera bien attention de ne pas nous laisser tomber.
De ne pas se laisser tomber lui-même.
Et si on se projette quelques années plus tard, j’aime croire que j’ai confiance que tu m’attendras à la lumière deviendra un jour j’ai confiance que tu as fait tes devoirs. J’ai confiance que tu rentreras avant minuit. J’ai confiance que tu as choisi judicieusement cette fille que tu me présentes. J’ai confiance que tu paieras tes comptes.
J’ai confiance que tu sauras te construire une belle vie.
Je serai juste là, quelques pas derrière. Si tu tombes, j’accourrai dans le temps de le dire. Mais je ne vivrai pas ta vie à la place. J’aurai le courage de te laisser voler. Parce que je SAIS que tu peux voler….
Après les instants de honte et de remises en questions, j’ai terminé cette balade d’automne plutôt fière. Et si vous me croiser avec mes enfants à vélo, svp ne dites rien. Ne m’obligez pas à rougir d’avoir trouvé le courage de leur donner la liberté dont ils ont besoin.
Septembre est achevé. L’été ne fait plus semblant de rien. Mais les occasions de faire grandir nos enfants sont présentes à chaque saison de leur vie.
Pas question pour moi, quoiqu’on en dise, de tuer la confiance.
Pour ceux qui trouvent mon article trop sérieux, venez rire ici.
Sur le même thème
Isabelle dit
Oui, moi aussi j’avais fait ce choix… jusqu’au jour où petit L s’est fait accoster par un vieux pervers qui cherchait une proie à qui briser la confiance et l’estime de soi.
Dieu merci, rien de grave n’est arrivé, mais après, la réflexion devient : confiance, d’accord, mais à quel risque ?
Mieux vaut ne pas juger ces parents inquiets, il y a beaucoup trop de détraqués dans nos villes et nos campagnes.
Julie dit
Ouf. C’est certain qui si ça arrivait devait mes yeux, j’aurais sans doute plus de difficultés à gérer mon anxiété. Les risques existent, on ne peut pas le nier. Mais je refuse de laisser mes peurs guider mes choix. Nos enfants ont tout de même besoin qu’on leur laisse des occasions de s’accomplir. Ceci dit, mon intention n’est pas de juger mais plutôt d’analyser et de déculpabiliser!
Desjardins Helen dit
Bravo Julie !!!
Tu es une femme intelligente !je suis vraiment d’accord avec toi !!
Ces chers enfants ont une maman formidable!!!Et oui tes enfants auront confiance en
eux car tu fais ce qu’ils faut pour leur donner confiance!!!
Continue a suivre ton cœur et a suivre ton jugement !!
Souvent les autres nous font nous poser des questions!!!???
Même lorsque nous agissons comme il se doit!!!
A une prochaine lecture !!!
Ma tante Helenxxoo
Suzanne dit
Je suis parfaitement d’accord! On vit dans un monde où on a peur de presque tout!!! Hier aussi, j’ai laissé mes enfants faire du vélo dans notre rue sans moi ( je surveillais le tout dans l’entrée!), ils avaient des règles claires à respecter. Mais malgré tout j’étais » tiraillée » entre le suis-je correct et tu es une mauvaise maman…ils pourraient se faire mal …. ou encore que va dire mes voisins…. ils me diront irresponsable… Finalement j’ai laissé tous ces commentaires internes de côté et je les ai laissés jouer en me disant que lorsque j’étais petite mois aussi je circulais seule dans ma rue et je ne suis pas morte et ma mère n’était pas toujours là sur le bord de l’entrée à me surveiller!!!! En te lisant ce matin, je me sens heureuse de penser que j’ai contribué au développement de leur confiance!!! Merci…
Geneviève dit
Tellement d’accord! On se ressemble pas mal, sur ce point. Faire fi de ce que j’appelle la « psychose collective », permet de vivre une vie tellement plus simple et sereine! C’est triste lorsque que tu ne peux faire autrement que t’imaginer le pire scénario, dès que vient le temps de sortir des 4 murs de la maison. Et encore là; tout à coup que le lave-vaisselle exploserait! C’est encore plus triste (pour ne pas dire pathétique), quand tu ne peux t’empêcher de surveiller ce qui cloche chez les autres et leur rappeler à quel point ils n’ont pas vu la menace qui les guette, alors que c’est leur propre imaginaire qui est le véritable danger. L’anxiété n’est pas toujours contrôlable, mais c’est une plaie dans notre génération bombardée de conseils d’experts en ceci et en cela, par ici et par là et qui finissent tous par se contredire en bout de ligne. Tout commence avec le fameux « Mieux-vivre », alias « si-tu-ne-fais-pas-comme-ce-qui- est-écrit-ton-bébé-est-en-DANGER-de-mort-certaine ». Nos enfants doivent être éduqués, oui, surveillés de près, oui! Ils sont si précieux. Mais ils ne doivent surtout pas se retrouver enfermés dans la prison de nos propres angoisses, fruit de notre imaginaire anxieux.