Il fait chaud dans la classe. J’ai retiré mon veston depuis déjà un bon moment. Je sens malgré tout la sueur s’écouler entre mes omoplates alors que je parcours la classe en vitesse, allant d’un enfant à l’autre. La cloche retentira dans quelques minutes et je tente d’aider mes élèves à faire tenir leurs autoportraits géants sur leurs chaises. Ce soir aura lieu la rencontre de parents. Pendant que je m’affaire à aider un enfant, armée de mon papier collant, les vingt-quatre autres s’agitent. Je plisse les yeux, irritée par le bruit. À l’autre extrémité de la classe, j’entends des cris.
— ARRÊTE !
Je relève la tête pour essayer de comprendre ce qui se passe tout en luttant avec le ruban adhésif qui s’enroule à mes doigts.
Quelques petits index s’enfoncent dans mon dos.
— Madame, madame…
Les demandent fusent de toutes parts.
« On a oublié de changer mon livret. – Mon soulier est brisé. – Liamm me tire les cheveux. »
J’ignore quelques demandes et répond avec irritation aux autres, que j’entends à peine dans le chaos.
La cloche retentit, il me reste encore quelques portraits à installer. Je fais assoir tout le monde, question de ne pas les relâcher dans le corridor comme un troupeau d’éléphants sauvages devant lesquels on ouvrirait l’enclos. Je les laisse sortir au compte-goutte. Dans le corridor, je console un enfant qui pleure et en reprend un autre qui s’amuse à fouetter tous les passants avec sa boite à lunch. Lorsqu’ils quittent enfin, j’essuie la sueur qui me perle au front et réprime les larmes qui me montent aux yeux. Mon cœur bat à tout rompre. L’adrénaline, dont je connais maintenant tous les effets, a pris le contrôle de mon corps comme c’est souvent le cas en fin de journée. Je retourne à mes portraits, que j’installe en grommelant et en essuyant quelques larmes téméraires. Le sol est rempli de boules de papiers, de cartons de jus et de retailles de crayons.
Pourquoi ai-je choisi ce métier chaotique ? Est-ce que j’y suis encore à ma place ? Comment vais-je faire pour rencontrer les parents ce soir, après la journée houleuse que je viens de traverser ?
Au milieu de mes réflexions, ma porte s’entrouvre. La toute jeune enseignante qui travaille dans la classe voisine entre en douceur. Elle ne dit pas grand-chose. Elle empoigne le ruban adhésif :
— Je vais t’aider.
Je suis mal à l’aise, c’est moi l’enseignante d’expérience, celle qui devrait dégager maturité et confiance.
— C’est gentil, mais tu as sûrement bien d’autre chose à faire.
Elle me regarde dans les yeux, y aperçoit sans aucun doute les rivières que je retiens.
— Non, je veux t’aider, renchérit-elle.
Elle n’a pas besoin d’en dire plus. Elle comprend, elle sait. Parce qu’elle aussi, elle en vit de ces mauvaises journées. Ces moments de découragement où on sauterait sur n’importe quelle autre profession.
Nous terminons de tout placer, de tout ranger. Elle me serre dans ses bras.
— Ça ira mieux demain.
Je sais qu’elle a raison.
Ma réunion de parents se déroule à merveille. Je ne mets aucun masque, je suis juste moi. Passionnée et vulnérable. Je reçois plusieurs tapes dans le dos et de magnifiques mots d’encouragements.
Les jours suivants, fortes des encouragements reçus, je rentre travailler la tête haute et mon énergie positive se répand dans mon groupe qui se montre moins agité qu’à l’habitude.
À l’heure du diner, la conductrice d’autobus se pointe le bout du nez.
— Est-ce que je peux venir relaxer dans ta tente ? me demande-t-elle en pointant du doigt la tente qui me sert de coin de lecture.
Elle vient souvent s’y reposer. Parfois silencieuse, parfois volubile. Elle aussi a ses moments de découragements. Il lui arrive de pleurer, de déverser son trop plein. Mais le plus souvent, elle vient mettre une belle touche de gaieté dans mon heure de dîner. Elle s’informe de moi avec sincérité. Lorsque je lui parle de l’aménagement de ma classe qui me fatigue, elle se penche avec moi sur le problème. Ensemble, nous réaménageons en pensée. Nous trouvons des solutions.
Un autre jour, c’est l’enseignante de maternelle qui se porte moins bien. Découragée devant l’ampleur de la tâche, elle peine à accueillir ses petits qui arrivent. Sans hésiter, l’une de ses collègues, dont les élèves sont pris en charge par l’enseignant d’éducation physique, la remplace à pied levé.
— Vas te chercher un café, je m’occupe de tes élèves jusqu’à la récréation.
Je l’entends lui lancer ces paroles juste avant qu’un flot d’enfants ne l’entoure.
Le soir, pendant la réunion du personnel, je parcours la salle des yeux. Ils sont si précieux ces collègues exceptionnels.
Ceux qui s’informent à chaque fois que je dois m’absenter pour un enfant malade. Ceux qui répandent leur sourire à chaque matin. Ceux qui distribuent autour d’eux beignes et cafés, juste pour bien partir la journée.
Toutes ces épaules où s’épancher.
Tous ces cœurs serviables, prêts à dépanner.
Nous avons tous nos bons et nos mauvais jours. Nous vivons tous des moments où la maladie frappe, où la famille nous inquiète. Et à tour de rôle, nous prenons soin les uns des autres.
Nous exerçons un métier assez solitaire. Lorsque la porte de notre classe se referme, nous sommes seuls avec les enfants. Seuls à écouter, partager, résoudre et aimer. Seuls parfois à s’irriter, à s’exaspérer ou à exploser !
Entre deux cloches, les regards et sourires de nos semblables nous sont absolument vitaux. La compassion que nous éprouvons à l’égard de nos collègues devrait toujours être plus grande que nos différents. Plus forte que la compétition qui s’installe parfois. Plus importante que les petits irritants qui nous divisent certains jours.
Nous avons besoin les uns des autres. Qui de mieux que nos collègues pour nous comprendre et nous épauler ?
Je ne sais pas si de telles choses existent dans toutes les écoles. Si c’est moi qui suis particulièrement bien tombée. Mais pour l’Action de Grâce qui vient de se terminer, je voulais prendre le temps de remercier mes formidables collègues qui me surprennent toujours par leur bienveillance et leur complicité.
Et si vous décidiez d’ajouter en commentaire le nom de vos collègues dont vous ne pourriez plus vous passer ? Créant ainsi une formidable et inspirante chaîne de reconnaissance !
Céline, Chloé, Nathalie, Dannie, Syndie, Andréanne, Claudia, Joanie, Kathie, etc… Quels sont les noms de VOS collègues les plus précieux ?
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Nathalie Grimard dit
Bravo pour ce magnifique texte. Anne-Marie Bendes, Karine Beausoleil, Marie-Ève Leboeuf, Émilie Dagenais et Cindy, vois êtres des collègues de travail extraordinaires. Merci d’être là, nous formons une belle équipe. Dans mon coeur, j’aurai aussi toujours une place pour d’anciennes collègues tout aussi gentilles ( Angela Moreira, Mylène Arseneault, Lucie Cousineau), vous me manquez!
Kathie Leclerc dit
La larme à l’oeil en te lisant, car tu sais bien que je ne suis plus présente dans l’école pour vous accompagner dans ce quotidien de haut et de bas. Tu as quand même mis mon nom et je t’en suis très reconnaissante, car tu es un modèle de passion,de persévérance et d’amour à mes yeux. Je m’ennuie de vous tous, cette équipe qui est le gros morceau qui me manque dans ma nouvelle vie. J’ai bien trop peur d’oublier un nom en écrivant, alors toute l’équipe sans aucun nom en moins, c’est à vous que je dédis ce texte.
Lyne dit
Andrée, Eve, Annie, France, Patricia, Josée, Sandro, Geneviève, Caroline, Valérie, Josyanne, Maude, Jo-Anne, Jo Ann, Geneviève, Anie, Nicolas et Maxime…une équipe dure à battre
Linda Aubé dit
Très touchant, je suis émue, et reconnaissante pour ma part de travaille avec Marie-Chantal Allard, Nicole Hébert, Isabelle Gariépie et mon boss Yvon Tessier 🙂 et bien d’autres encore…
Sylviane Brurat dit
Un énorme MERCI pour ce magnifique texte qui bien sûr me va droit au coeur pour avoir vécu les mêmes péripéties.
être enseignant (e), est un métier fabuleux avec des personnes extraordinaires