Il y a déjà quelques temps, j’ai fait produire à mes élèves de 6-7 ans de petits textes sur leurs plus grandes peurs.
Quelle sublime idée! Je m’en suis grandement félicitée! Dans mes dix ans de carrière, je crois que je n’ai jamais eu autant de plaisir à corriger les écrits de mes petits apprenants.
D’abord, parce qu’ils ont été plusieurs à me surprendre par l’objet de leur peur. Un beau festival de peurs inusitées :
J’ai peur des films d’adultes. Les bonhommes ont des gros yeux avec une mini pupille rouge. J’ai peur qu’ils m’attrapent. (Suis-je la seule à penser que cette petite a surpris ses parents en train d’écouter Walking Dead?)
J’ai peur des vampires. Je ne les aime pas. Pour me calmer, je crie! Quand les vampires sont autour de moi, je les frappe. Puis je m’aperçois que ce n’est pas un vampire : c’est mon frère! (Tiens dont! Belle excuse pour s’en prendre à son fraternel! De toute beauté.)
J’ai peur des meubles qui bougent. Je le sais que j’ai peur parce que mon cœur bat vite. (Les meubles qui bougent… J’ai eu beau chercher, y’a rien à comprendre. Quelqu’un a une hypothèse?)
À bien y penser, des peurs inusitées, on en a tous quelques-unes. Moi, j’ai peur des motos. Quand elles pétaradent à quelques mètres de moi, mon instinct me dit de me trouver une planque sous-terraine et de ne plus bouger. Ce sont mes enfants qui me ramènent à la raison.
– Maman, c’est juste une moto, me disent-ils en roulant les yeux au ciel.
J’ai aussi peur de la peau qui pèle après un coup de soleil. Et depuis toujours, même dans mon jumelé citadin entouré par les autoroutes, j’ai peur des ours. Alors les meublent qui bougent, j’imagine que je ne suis pas placée pour en débattre!
En plus de décrire leurs plus grandes frousses de manière si colorée, mes élèves ont également su me surprendre par leurs descriptions physiques du phénomène. En vérité, je n’aurais pas pu mieux le décrire:
J’ai peur que mon cœur se déchire. Il fait boum vraiment trop fort.
Je crie même si je ne veux pas crier. Je pleure.
Mes poils montent. C’est très difficile
Décrire la chair de poule, quand on a six ans, c’est quand même quelque chose!
Mais le plus divertissant, ce fut de les laisser me raconter les manières dont ils s’y prennent pour gérer leurs frayeurs:
Pour me calmer, je vais voir ma maman et ma maman chante.
S’il y a un scarabée par terre je le pile, le pile, le pile jusqu’à ce qu’il soit mort et je le lance. Je reste calme. (vraiment???)
Pour enlever ma peur, je prends cinq respirations et après je l’écrase. (Non mais, pourquoi cinq?!)
Appeler ma douce maman et lui demander une chanson (qu’est-ce que t’en dis maman)? « Piler » un scarabée ou prendre cinq respirations (pas une de plus, pas une de moins)? Pourquoi pas! Moi qui m’enfouis la tête sous l’oreiller, évite de cligner des yeux et réclame mon homme à grands cris, suis-je vraiment plus ingénieuse?
Comme souvent, ce qui m’a le plus impressionnée dans ces productions écrites inédites, fut la manière avec laquelle mes élèves se sont livrés à moi, avec une transparence qui décoiffe! Ce qui m’a mené à la réflexion suivante:
Le monde qui nous entoure met beaucoup d’énergie à tenter de nous ficher la frousse. Selon Pierre, Jean, Jacques, on devrait avoir peur du cancer qui est partout, des agents de conservation, de la crème solaire, du sucre et de son acolyte le sel.
On devrait frémir devant la fin du monde. Enfermer nos enfants dans la maison de peur qu’on ne les kidnappe. On devrait craindre les microbes sur le combiné de téléphone et s’alarmer face aux acariens qui envahissent nos lits moelleux.
En bon citoyen, il faudrait également redouter la grippe aviaire. Et pas question de manger au restaurant en paix, il faudrait suspecter des normes d’hygiène douteuses et fabuler sur le cuisinier frustré qui aurait pu cracher dans notre nourriture.
Attention aussi aux compagnies pharmaceutiques diaboliques, aux vaccins bourrés de poison et aux politiciens corrompus!
À l’école, on craint l’intimidation. On redoute aussi la compétition et les galas qui mettent en évidences les mérites de certains en négligeant les autres. On a peur que les enseignants masculins soient pédophiles. Que les enseignantes prennent notre enfant en grippe.
Ah! Et il ne faut pas oublier de craindre les UVB ainsi que les produits transformés! Les maladies dégénératives silencieuses, les attentats terroristes et les carences en oméga3…
Dans ce monde tordu ou les infanticides et l’inceste abondent, faut-il également craindre ses propres parents?
Ça épuise. Et pourtant, ce sont toutes des peurs vastement véhiculées autour de nous.
La peur est un état utile devant le danger imminent. Elle ne devrait pas nous habiter dès qu’on ouvre les yeux et s’accrocher à nous jusqu’à ce qu’on les referme.
Pour ma part, et malgré que plusieurs de ces menaces soient bien réelles, j’en conviens, j’ai fait un choix. Autant que faire ce peut, je ne vivrai pas dans la peur.
Comprenez moins bien; je pense qu’il est très sain de remettre en question nos habitudes de vie et de prendre soin au mieux de nous-mêmes et de nos proches. Mais je crois que les remises en question et les changements n’ont pas à être inspirés par la peur. Inspirés par l’amour de soi et des autres. Inspirés par des modèles significatifs ou des objectifs de vie valables. Oui. Mais pas par la peur.
On meurt tous un jour.
La maladie n’épargne personne.
Il n’y a pas de moyen de mettre nos enfants à l’abri de tous les dangers sans les priver également de toutes les beautés que le monde a à offrir.
Je ne vais pas mettre mes petits en laisse, me nourrir de mon propre jardin et m’enfermer dans un bunker sous-terrain parce que j’ai lu trop d’articles terrifiants sur Facebook. Non.
Je choisis, tout simplement, de m’en remettre à plus grand que moi.
Bien sûr, certaines craintes sont légitimes et inévitables. Mais je tente de ne pas leur laisser prendre le dessus sur ma vie.
Il m’arrive d’avoir peur que mes enfants meurent avant moi.
Tout comme je crains de les laisser seuls en partant avant eux…
Il arrive que les bruits de la nuit me fassent trembler.
Les gens obnubilés par leur Ipad, Iphone et autres technologies m’effraient aussi. Leur manière d’être absents et présents en même temps me donne la chair de poule.
Alors quoi? J’appelle maman, je pile un scarabée et je prends cinq respirations!
Mais surtout, je fais un choix.
Je mange, je vis, je profite. Parce qu’un jour, que j’aie mangé Bio ou pas, je mourrai. C’est ainsi.
En attendant, avis à tous, je ne vivrai pas dans la peur!
« Si on savait de quoi est faite notre peur, on pourrait sans doute s’en débarrasser… » Monique Champagne.
Merci Monique.
N.B . Bon, j’entends déjà mes amis proches me dire : « Ben voyons Julie, toi qui aimes tant les films qui font peur, tu dis n’importe quoi! ». C’EST PAS PAREIL! Un film qui fait peur, c’est juste pour le plaisir d’être tellement soulagée quand on ferme la télé et qu’on constate l’absence de zombies ou de détraqué mental dans notre foyer. C’est tout.
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Comprendre nos peurs (psychologies.com)
Amelie dit
les meubles qui bougent La belle et la bête peut-être
Julie dit
Oui! Merci Amélie, ça m’aide à comprendre!