– Ce sont sûrement nos pires vacances à vie!
C’est ce que mon homme m’a dit en revenant du chalet familial, alors que notre superbe Caravane arpentait les routes sinueuses de la Haute-Mauricie. Il faisait nuit, nous avions choisi d’écourter notre séjour en forêt.
– Non. Pas du tout même.
Il m’a regardé, l’air perplexe. Je comprenais sa surprise; les circonstances avaient été loin de nous être favorables. Et pourtant, je revenais de notre court périple le cœur léger et l’esprit joyeux. Il ne comprenait pas.
Le tout avait commencé la veille, lorsque nous avions entrepris le voyage de quatre heures vers le chalet de chasse de mon beau-père. Un rendez-vous annuel à ne pas manquer. Pas mon « happening » préféré toutefois, je dois l’admettre. C’est qu’au Nord de Latuque, le festival de la bibitte bat son plein! Et bon, comme nous dormons sous la tente, camping version très très sauvage, il est parfois difficile avec de jeunes enfants d’y trouver le sommeil nécessaire à la bonne humeur. Mais comme les moments magiques en famille y sont immanquablement au rendez-vous, nous nous faisons un plaisir d’honorer l’invitation et de nous y présenter chaque année.
Lors de notre départ, notre fils cadet était aux prises avec un petit rhume. Rien de vilain. Un nez bouché. Rien qui ait pu nous mettre la puce à l’oreille. Si nous avions été en plein février, sa condition asthmatique aurait pu nous inquiéter un peu. Mais sous le soleil de juillet, alors que son asthme était bien contrôlé depuis plusieurs mois, il n’y avait pas lieu de s’en faire pour un peu de morve.
À la moitié du chemin, sans crier gare, il s’est mis à tousser. Évidemment, il avait un rhume! Rien de plus normal que ces quelques expectorations! Quand nous avons enfin atteint le dernier tournant avant notre destination, il toussait alors depuis près de deux heures. Sans aucune interruption. Il gémissait de fatigue, à bout de souffle et exténué. Nous avions bien essayé les pompes de Ventolin, que nous avons toujours avec nous, les pauses détentes et les verres d’eau, rien n’y faisait. Nous avons alors su que son asthme, habituellement latent pendant la saison estivale, n’avait pas pris de vacances cette année. Il a fréquemment ce genre de petite toux tenace pendant l’hiver. Mais bon, nous arrivions à destination, armés de Ventolin, et nous pensions bien pouvoir l’aider à contrôler sa respiration.
Quelques heures plus tard, la tente était montée, le souper consommé et l’état de santé de mon petit dégringolait d’une minute à l’autre. Chaque respiration faisait travailler durement son corps épuisé. Il semblait maintenant évident que nous n’aurions pas le dessus. Pour l’avoir maintes fois conduit à l’hôpital dans un état critique, je reconnaissais tous les signes de difficultés respiratoires sévères. Un tirage spectaculaire, une respiration rapide. Des vomissements. Lui, habituellement grimpé aux arbres, se lovait dans les bras de sa tante, trop faible pour se déplacer de lui-même ou pour entretenir une conversation. Même blotti contre moi, il ne trouvait pas de position confortable, se tortillait constamment.
Nous étions à plus d’une heure de la ville de Latuque où se trouvait l’hôpital le plus proche. Nous n’avions pas d’électricité, pas de signal sur nos téléphones. Aucun moyen de communiquer avec l’extérieur de la forêt! La nuit était tombée et la route à parcourir était ténébreuse et sauvage. Pas question pour mon homme de me laisser partir seule. Il n’était pas envisageable non plus de s’y rendre tous les deux et de laisser nos deux autres enfants, eux aussi enrhumés, à la charge de nos hôtes.
Après de trop longues délibérations, mon beau-père s’est porté volontaire pour m’y amener et nous sommes partis laissant derrière nous le reste de la famille. À son contact, je sentais avec quelle peine mon garçon parvenait à prendre possession de cet air qui le gardait en vie. Lorsqu’il arrêta brutalement de tousser, la panique me prit. Il était livide, mou comme un linge, secoué par de petits spasmes à chaque respiration. Arrivé à destination, il fut rapidement pris en charge. Avec une saturation à 89, il faisait peine à voir. Mon beau-père est retourné vers les siens et j’ai passé la nuit à l’hôpital de Latuque avec mon petit. De son côté, mon homme a dû prendre soin de notre benjamin qui, sous la tente, se réveillait aux heures, incommodé par les microbes. Le lendemain, après plusieurs inhalations et traitements de cortisone qui se sont avérés efficaces, il est venu nous récupérer et nous avons refait la route vers le chalet en début d’après-midi.
Quand notre voiture a pris place dans l’allée du chalet, ma belle-maman est accourue. En larmes, son visage exprimait autant son bonheur de nous voir de retour que son soulagement de retrouver son petit-fils vivant et remis sur pied. À peine sortie de la voiture, elle m’a prise dans ses bras et m’a serrée bien fort.
– Je suis tellement contente que vous soyez revenus, m’a-t-elle dit en pleurant.
C’est alors que cette vague d’amour a déferlé sur moi. Elle était plus forte que le manque de sommeil. Plus forte que mes inquiétudes. Ils étaient tous là, à nous attendre. Leurs visages exprimaient toute leur sollicitude et leur soulagement. À tour de rôle, ils ont pris soin de nos enfants, se sont assurés qu’ils puissent profiter des quelques heures qui leur restaient au chalet.
Nous sommes restés jusqu’au souper et sommes repartis avant la pénombre, incapables d’envisager une seconde nuit en forêt avec mon cadet tout juste remis et mon plus petit de plus en plus inconfortable et fiévreux.
– Ce sont sûrement nos pires vacances à vie!
J’ai compris qu’il l’ait pensé. Qui rêve de faire quatre heures de route pour repartir quelques instants plus tard en panique, dans la forêt, avec un petit de six ans qui a oublié comment respirer? Mais pourtant, je n’ai pas passé un si mauvais moment… au contraire.
D’abord grâce à mon fils. Ce petit garçon tenace qui, dès qu’on lui eut administré suffisamment de médicaments pour qu’il arrive à respirer, m’a surprise par son attitude désarmante. Pas une seconde il ne s’est plaint d’avoir raté le feu de camp, de ne pas dormir sous la tente ou de devoir être loin de ses cousins. Non. Il s’est trouvé chanceux.
– Maman, c’est quand même spécial de dormir ici, dans un nouvel hôpital où je n’étais jamais venu!
Il s’est extasié devant sa « civière de grand » dont il pouvait abaisser le dossier et remonter la barrière de côté. Il s’est émerveillé devant la chaise roulante. Il a été épaté qu’on lui serve son déjeuner au lit! Et surtout, il est tombé amoureux fou de son infirmière attitrée, la belle Katie. Katie qui l’a soigné avec beaucoup d’attention, qui s’est montrée tellement délicate et compréhensive. Katie qui a fait toute la différence pour nous cette nuit-là (comme j’aimerais qu’elle puisse aboutir sur mon blogue cette Katie pour que je puisse la remercier comme il se doit)!
De retour au chalet, il s’est empressé de raconter aux cousins combien il avait eu une nuit spéciale dans son super-lit incroyable avec sa merveilleuse Katie. Il était content. Vraiment. Comment aurais-je pu ne pas l’être aussi. Bien sûr, j’avais raté le coucher du soleil sur le bord de la rivière, mais j’avais admiré le divin spectacle du rafraîchissant bonheur naïf de mon fils.
Dans la vie d’une maman de trois, il faut parfois de tels événements pour se permettre de tenir l’un de ses enfants contre soi plusieurs heures durant. Loin de me sentir à plaindre, je me savais privilégiée de passer ce temps béni en tête à tête avec mon fils. Une nuit collée contre lui. Bien sûr, on ne devrait pas attendre de telles circonstances pour se permettre du temps de qualité avec chacun de nos enfants. Mais dans cette vie qui court, j’ai perçu cette nuit comme un rendez-vous divin avec mon garçon. C’est loin d’être ce qui m’est arrivé de pire!
Mais alors, les pires vacances, ce serait quoi? Pour moi, ce serait des vacances où l’on se chicane. Où l’on se blesse. Croyez-moi, je crains bien davantage les blessures intérieures que celles qui ne s’en prennent qu’au corps. Des vacances où il y aurait de la haine, des insultes, des blessés ou des absents. Ça, ce serait de terribles vacances.
Rien à voir avec nos petites péripéties. Entourée de tous ces gens qui nous aiment, je me suis sentie bien, malgré tout. Un pépé qui n’hésite pas à faire un aller-retour en forêt de nuit. Une mémé et des tantes en or qui s’occupent de mes enfants pour que mon mari puisse venir me chercher. Des sœurs, des frères, des amis. Des gens pour qui l’on compte et qui nous le font sentir. Non, ce n’était pas de mauvaises vacances.
Si on pouvait toujours choisir les circonstances, tout deviendrait tristement prévisible. On se sentirait forcément moins vivants.
Nous avons vécu au chalet des vacances qui remettent en lumière la fragilité de la vie et, du coup, nous permettent de l’apprécier à sa juste valeur.
Encore une fois, encore cette année, il me semble clair que le bonheur a très peu à voir avec les circonstances…
Le bonheur est plus fort que les circonstances.
Jack dit
Tu est surprise que ton beau père a fais ça et que ta belle mère t’a reçu comme ça,je pense pas!!En passant adonis je suis déçu que tu ne dorme plus à la belle étoile sur le bord de la trench.Coudonc on viellis tous,que veux tu.Bonne chance au petit
Julie dit
Bien sûr que non, je ne suis pas surprise! Je suis juste tellement reconnaissante de les voir se démener pour nous chaque fois… Et pour l’Adonis à la belle étoile, on est définitivement rendus ailleurs!
Caroline dit
Mon garçon de 6 ans aussi asthmatique nous a fait le même coup récemment lors d’un séjour en camping, à Oka, à la Saint-Jean… (Une semaine plus tard il a aussi commencé une pneumonie dans l’avion qui nous menait en vacances à Punta Cana…) Que sont donc ces grosses crises d’asthme en plein été ? Très beau texte, je comprends l’émotion !
Julie dit
Pour avoir eu 3 enfants asthmatiques, ça ne nous était JAMAIS arrivé l’été… Étrange tout ça. Mais la pneumonie à Punta Cana, je n’aurais pas voulu être dans vos shorts! J’espère que ça s’est bien terminé.