Lettre à mon ado
Ta vie est une véritable tempête de nouveautés, je sais. De ton corps qui s’est étiré et dont les détails ne te sont pas encore familiers, à cette nouvelle autonomie qui t’apporte tout un lot de responsabilités, de questionnements et d’insécurités.
Les premières sorties, le premier travail, le premier amour, la première voiture. Mais tu vois, ce que tu oublies peut-être, c’est que moi aussi, c’est ma première fois.
Jamais auparavant je n’ai accompagné de petits être humains dans l’adolescence. Jusqu’ici, j’ai tenu des mains, lavé des fesses et raconté des histoires. J’ai répondu à tous les pourquoi et démystifié bien des mystères. J’ai chassé les monstres des armoires et frotté les taches sur les vêtements. Mais jamais, jamais auparavant je n’ai eu cette mission si étrange de donner à un morceau de moi un élan juste assez grand pour qu’il se détache, mais assez doux aussi, pour que je puisse encore le guider.
Encadrer sans étouffer, amuser et se confier en conservant son autorité… Prévenir sans pour autant leur éviter toutes les erreurs. Ne conseiller que sur demande. Accepter de lâcher-prise, mais sans jamais lâcher-espoir. Aimer autant qu’avant, peut-être plus, mais discrètement pour ne pas apeurer cette petite bête qui se déplie et se déploie. Sais-tu, ma fille, combien le rôle de « maman d’adolescente » est un travail de précision ?
Je te reconduis à ton nouveau travail et reconnais en toi cette fébrilité que j’ai connue jadis. Lorsque tu descends de la voiture, je découvre pour la première fois l’envers de celle-ci. Moi qui, impuissante, ne peut que te regarder à travers la fenêtre et espérer te voir confiante.
Tu prends l’autobus avec excitation, fière et contente de ne plus dépendre de nos transports. Tu ne soupçonnes pas que jusqu’à ce que tu sois rentrée, une partie de moi se demandera sans cesse où tu es. Et lorsque tu auras quelques minutes de retard, c’est tout un état d’urgence qui prendra place dans mon corps et mes pensées. Bien sûr, je ne te montrerai que la pointe de mon iceberg d’angoisse, pour éviter que tu aies l’impression que je ne crois pas en toi.
Tu gravites autour de ce gentil garçon qui t’intéresse. Avec ton tout petit bagage des 15 dernières années et ta confiance minuscule. Du haut de mes 40 chandelles, j’ai envie de te dire de foncer, sans avoir peur. Tu crains tellement ce que les autres pourraient penser ou dire que je te sens parfois figée, à court d’audace. Je te répète que ça n’a pas d’importance ce que les autres pensent. Mais tu ne me crois pas.
Peut-être parce que je ne me crois pas complètement, moi non plus…
J’aimerais attraper ce garçon et lui tourner la tête de force pour qu’il te regarde. Pour qu’il te voit. J’aimerais lui dire qu’il est chanceux, bienheureux, que tu l’aies choisi. Quand tu étais enfant, tu voulais toujours que je m’en mêle. Que je règle les problèmes et applique les solutions. Maintenant, tu m’en voudrais beaucoup si je mettais mon vieux nez dans tes jeunes affaires.
Maintenant, j’ai le même amour mais tellement moins de pouvoir. J’aime en spectatrice. J’aime en rodeuse. J’aime en t’effleurant de conseils et de prières, tel un agent-secret-ninja qui tente de ne pas être découvert.
Je te regarde apprendre à bien traiter ton corps et faire des erreurs. T’entrainer trop fort, puis tomber dans la tarte et les bonbons. Je connais certains de tes défis et de tes faiblesses qui sont aussi les miennes. Mais je sais que l’on apprend bien plus par les erreurs que par les mots. Jusqu’où dois-je te laisser te tromper ?
Je me trompe aussi. Souvent. Je vis toutes les maladresses d’une première fois. Je ne sais pas quoi dire ni où me mettre. J’avance à tâtons dans ce nouveau rôle, tâchant d’équilibrer les libertés et les interdictions, les discussions de cœur et celles de la tête. Je te fais parfois trop confiance, d’autres fois pas assez. Je t’encadre de trop près, puis de trop loin.
Et comme tu apprendras de toutes tes premières fois, j’apprendrai des miennes et deviendrai meilleure. En attendant, j’ose le croire, tu me pardonneras mes erreurs de débutante. Mes envahissements. Mes hystéries. Mes obsessions et mes indiscrétions.
Tu me pardonneras parce que, je l’espère, tu sauras y voir une expression bien maladroite de mon amour qui lui, n’aura jamais changé.
Et si jamais tu en doutes, je dépose ici cette chanson qui est pour toujours la tienne : The way i love you
À lire aussi:
Christine dit
Tu écris toujours aussi bien, ma soeur! Tu m’as encore fait pleurer! xxx
Sophie Poirier dit
Magnifique texte inspirant et si rempli d’authenticité. Tu es une « mère-veilleuse »maman Julie comme le dirait Sol. En effet nous en sommes à notre première fois d’être maman d’adolescente et on va continuer d’apprendre tout en faisant des erreurs, mais l’amour que nous éprouvons pour elle demeurera toujours là et ce sera là, le phare qui saura les guider.
Julie dit
Exactement !!!
Christine Tourangeau dit
Je me garde ton texte précieusement sur le coeur pour le lire tantôt. Le sujet m’interpelle grandement, moi qui ai un ado en déroute qui appelle à l’aide.
Merci de mettre tes mots sur nos maux et nos beautés. Je te reviens plus tard…
doris fleury dit
Comme je vous admire madame d`etre si realiste a toutes ces premieres fois…..moi a 73 ans c`est bien certain que ma mere a fait plus que son possible pour presque toutes nous eviter les peines et les erreurs car avec 7 filles et 2 garcons, elle en avait toujours un dans l`adolescence quand celle-ci a commence avec la premiere….et a 44 ans elle est devenue veuve avec encore 7 a la maison….qu`elle femme d`exception, nous avons pas mal tous essauer de lui eviter de lui compliquer notre periode mais d`adolescence….mais il y en a eu ou ca ete plus difficile…..Jamais de perte de controle de elle, des explications et des discussions que nous avons juste fais ce qu`on voulait avec….mais qui nous on servies un jour….avec quelques annees de plus! Faut les aimer et se dire comme maman nous disait…….La creme remonte toujours a la surface 🙂
Julie dit
Merci pour ce beau témoignage. La crème remonte toujours à la surface: j’aime ça !!!
Maryse dit
Un texte empreint de profondeurs qui éveillera, sans doute, dans le coeur des mamans trop occupées ou moins conscientes de cette transition fragile et si cruciale pour l’équilibre et l’harmonie de ces belles ados… C’est bizarre je me demandais si les joyeuses catastrophes reviendraient… j’en suis heureuse de te lire ce matin … Continue, tu es si édifiante avec ta plume colorée et émotionnelle…
Josée Fleurent dit
Ô que Dieu t’a inondée du pouvoir des mots, des paroles et des pensées qui à l’aube de mes 65 ans raisonnent comme si c’était hier tout en étant aussi actuels aujourd’hui. C’est beau de te voir vivre le moment présent et être consciente de l’importance de ce moment présent pour toi et aussi pour ta fille, tes enfants et ta famille. C’est tellement émouvant de te lire. Bon courage à vous deux xox