Quand j’avais 7 ans, je ne rêvais pas de m’envoler pour Disney pour batifoler avec Cendrillon et Mickey. Je ne pensais jamais à ça.
J’avais des ambitions bien plus grandes encore! Ce que je souhaitais ardemment et du plus profond de mon cœur… c’était d’avoir l’infini bonheur de porter un appareil dentaire! J’en rêvais au point de prendre l’attache en métal de mes barrettes à cheveux et de la déposer sur mes dents pour créer l’illusion d’une prothèse orthodontique.
Puis, quand j’ai eu 8 ans, j’ai eu un fixe sur les lunettes. J’aurais vendu mon âme pour une paire, la plus grosse possible, de fonds de bouteilles comme ceux qu’arboraient fièrement certains élèves de l’école.
À mes 10 ans, enfin, mes attentes ont été surpassées! Mieux encore qu’un appareil dentaire ou qu’une paire de grosses lunettes: un accident de voiture! J’ai été reversée, happée de plein fouet et par rien de moins qu’un gros pick-up bien viril! De quoi faire pâlir d’envie tous mes copains! J’allais finalement avoir de quoi faire pitié. J’étais parfaitement amochée; juste assez pour attirer beaucoup, beaucoup d’attention, mais rien qui ne serait pas guéri en moins d’un mois.
Le scénario parfait quoi!
C’est parce que voyez-vous, déjà à cet âge, on aimait bien jouer à « Ma vie est pire que la tienne ». Quand un copain décidait de faire étalage d’un ancien bouton de varicelle encore hideux, tous les autres se dépêchaient de montre leur plus gros bobo en date.
Mais le comble, c’était quand on se lançait dans les « Moi, j’ai failli mourir »…
Là, tout le monde avait son histoire, toujours bien pire que celles des autres :
J’ai failli mourir quand je suis sorti du ventre de ma mère, quand je suis tombé de ma chaise haute, quand j’ai attrapé la scarlatine, quand un chien enragé s’est jeté sur moi…
Je sais, ça fait sourire. C’est tellement pathétique de voir la compétition s’immiscer même dans nos malheurs! Et pourtant, si j’en parle, c’est que j’observe encore aujourd’hui, dans ma vie d’adulte accomplie, le même sapré phénomène!
Faites le test, écoutez un peu les discussions autour de vous! Quand quelqu’un se pointe dans une salle à dîner avec des yeux bouffis en disant qu’il n’a pas pu dormir de la nuit parce que son petit avait la gastro, il y a toujours quelqu’un pour se mettre à raconter que ses huit enfants ont déjà eu la bactérie E-colis tous en même temps… Insinuant par le fait même que la petite nuit blanche de son collègue n’a rien d’impressionnant!
Puis, les autres s’y mettront, commenceront à raconter la fois ou leur plus vieux s’est cassé le coccyx et leur plus jeune s’est planté un clou dans le pied avec un gun à clou (j’en profite pour dire que c’est une bonne idée de RANGER les guns à clous quand on a des enfants de moins de 10 ans qui rampent dans les parages…). Et cette superbe compétition improvisée de « Ma vie est pire que la tienne » battra son plein de longues minutes, laissant rapidement en plan le pauvre être humain aux yeux bouffis et sa nuit blanche.
Et pourtant, on aurait pu facilement deviner que cette personne ne racontait pas sa mésaventure dans l’idée d’initier un sombre concours! Probable qu’elle cherchait juste, en ce matin difficile, un peu de réconfort, un soupçon de compassion, non?
La dernière fois qu’un de mes collègues masculins est revenu d’un congé de paternité, il a eu envie de raconter comment sa conjointe avait survécu à son terrible accouchement. Il semblait fier d’elle, la trouvait courageuse. C’était beau. Mais rapidement, la discussion a pris un étrange tournant; tous les mâles présents ont senti le besoin d’entrer en compétition!
Moi ma blonde, elle a crié tellement fort que tout l’étage l’a entendue! Ben moi, imagine, elle a déchiré jusqu’à l’anus! Mais moi, c’est pire, ils ont dû prendre les ventouses!
Je les ai écoutés d’une oreille, à la fois amusée et perplexe, en me demandant ce que mon homme à moi aurait bien pu raconter pour se tailler une petite place dans la compétition!
Même si j’ai encore le réflexe d’y participer à l’occasion, je suis rarement une concurrente très performante dans ces insipides concours. Mon vieil accident d’auto n’intéresse plus personne. En vérité, je le dis souvent, ma vie est douce et plutôt belle. Je trouve difficilement de quoi faire pitié…
Je pense encore parfois à me faire poser des broches ou à me dégoter d’affreuses lunettes, mais pour dire vrai, ça me tente de moins en moins.
Je me dis qu’il y a certainement d’autres moyens de gonfler son estime que d’avoir sans cesse à jouer à « Moi c’est mieux » ou « Moi c’est pire ».
De toute façon, tout est tellement relatif! Une nuit blanche sera un drame pour l’un et un petit pépin pour l’autre.
Pour certains, l’entrée des enfants à l’école sera un véritable mont Everest et pour d’autres, une étape naturelle et belle de la vie. Quelques-uns pourront travailler 60 heures par semaine et se sentir en pleine forme, et d’autres seront épuisés par leur 25 heures hebdomadaires. Pour quelques parents, une verrue plantaire sera la fin du monde et pour d’autres, une paralysie cérébrale sera le quotidien.
On ne peut pas comparer. Plus je contemple ces fascinantes escalades de récits déprimants, plus il m’apparaît clair qu’il n’en ressort rien de bon. Rien de durable. Rien de profitable ou de salutaire. Chacun se tourne vers lui-même, se contemple l’intérieur en laissant souvent pour compte une personne qui aurait eu besoin qu’on l’entende.
Dans ma petite vie tranquille, j’ai connu, comme tout le monde, des moments moins roses. Des périodes plus sombres où le stress a pris le dessus. Où le découragement s’est fait sentir.
Quand je me suis tenue à un poil du gouffre de l’épuisement professionnel, je n’avais pas besoin qu’on me dise que moi, au moins, j’avais deux mois de vacances ou que j’étais chanceuse d’habiter si près de mon travail. J’avais juste besoin qu’on m’écoute et qu’on m’aide à me relever.
Ce n’est pas toujours facile de prendre soin des autres. Surtout quand on a nous-mêmes notre lot de difficultés. Mais j’aime croire que si on arrive à donner à chacun, lorsqu’il en a besoin, l’attention qu’il mérite, il y aura quelqu’un pour nous rendre la pareille quand viendra notre tour.
En classe, quand un petit revient de la fin de semaine en nous disant par exemple que sa mère a perdu le bébé qu’elle avait dans le ventre, il y a toujours un paquet de petites mains qui se lèvent pour participer au concours. Instinctivement.
Moi ma mère, elle a en perdu DEUX dans son ventre! Moi, c’est pire, je suis sorti de son ventre avant que ce soit le temps et j’ai failli mourir! Mais moi ma grand-mère, son frère est mort quand il était petit…
De plus en plus, je tente de leur apprendre à voir les choses autrement :
– Attention, ce n’est pas de toi que l’on parle, ni de ta grand-mère! On parle de ton ami ici qui a de la peine pour sa maman et le petit bébé… Aurais-tu quelque chose à lui dire pour l’encourager?
Puisque le réflexe de se tourner vers soi-même est si fort et persiste si longtemps, je me dis qu’il vaut peut-être mieux commencer tout de suite à contrer ces séances pernicieuses de chialage collectif!
Être entouré de gens qui se complaisent à raconter leurs misères, ce n’est jamais très sain. Peut-être que si on cessait de se valoriser par nos malheurs, on apprendrait à choisir le bonheur même quand les circonstances sont moins bonnes? Même quand les catastrophes sont au rendez-vous?
À mon dernier anniversaire, mon plus petit a passé la soirée à vomir. Deux jours plus tard, alors que mon Adonis avait décidé de me sortir pour me faire oublier ma piètre journée de fête, j’ai dû annuler notre sortie pour amener mon deuxième garçon à la clinique parce qu’il avait les oreilles et les poumons infectés. Déterminés à ne pas renoncer au bonheur, nous projetions de nous reprendre le lendemain… Jusqu’à ce que mon Adonis se lève en vomissant.
Si j’avais eu 10 ans, j’aurais sans doute pu gagner le concours du pire anniversaire (quand y’a du vomi, c’est facile de gagner!).
Mais dehors, il faisait beau. Un des premiers beaux jours du printemps. J’ai pris les enfants avec moi et nous sommes partis à l’aventure, laissant mon Adonis seul avec ses vomissures (désolée mon amour, je ne suis pas très bonne comme garde-malade…). Et je dois dire que ce fut franchement une très belle journée.
Nos catastrophes ne peuvent pas toujours être joyeuses, j’en conviens. Mais il me semble qu’on pourrait quand même essayer de patauger davantage dans le beau que dans le laid…
Question de se rappeler que la vie, au fond, est quand même vachement belle quand on choisit de se vautrer dedans!
À lire absolument : Comment se comporter face aux personnes négatives sur Wikihow. Avec des trucs concrets et des dessins, c’est super inspirant!
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Sophie dit
Merci pour ce message tout à fait sublime. Bravo pour l’éducation que vous faites auprès des enfants. C’est tellement important de prendre le temps d’écouter l’autre qui en a besoin. Je suis atteinte d’une maladie rare et du jour au lendemain, ma vie a basculée et j’étais très mal en point. C’est une maladie invisible, alors, lorsque les gens me voyaient, ils me disaient tu as l’air vraiment bien. Ce qui n’était jamais le cas, puisque j’ai été en souffrance pendant 3 ans. Le pire, c’est que les gens ne prenaient pas le temps de me demander comment j’allais. Durant cette période difficile, j’en aurais eu bien besoin. J’aime aussi quand vous dites qu’une nuit blanche n’est rien pour un et un drame pour l’autre. Chacun a une façon différente de gérer les difficultés et chacun est unique. C’est tellement pas important de se comparer, j’aime ton message de prendre soin de l’autre qui en a besoin. J’espère que votre mot va toucher plein plein plein de personne et que cette sagesse soit partagé. En tout cas, moi ça m’a fait réfléchir et j’ai bien l’intention de faire des interventions auprès de mes enfants pour les encourager à éviter ce piège qui nous guette tous. Merci encore
Caroline dit
Je viens de découvrir ton site et je suis en train de ‘remonter dans le temps’ pour lire les articles plus vieux. En tant qu’enseignante, je dois dire que tes articles sont criants de vérité et tout à fait succulents! Merci de m’avoir fait rire du ridicule de certaines situations, car rendu au mois de juin, le sourire est de moins en moins facile et la langue frôle dangereusement le plancher… 😉
Vachon dit
Merci pour cette belle réflexion! À la fois drôle et pleine de bon sens..
Catherine Pagé dit
Tellement, tellement vrai!
Maryse dit
Toujours aussi drôle mais profondément « réflexionnant »!!! Merci de nous faire riréfléchir …
yolande dufour dit
J`ai aimé du commencement à la fin tout ce que je viens de lire. Tellement vrai. Merci et continue.,