— Pis Julie ? Comment ça s’est passé le Salon du livre ?
Je réponds toujours très brièvement à cette question.
— Bien, bien, c’était l’fun !
C’est une réponse honnête, efficace. Incomplète.
Expliquer à la fois mon humiliation et ma débordante fierté serait beaucoup trop long. Et je ne suis pas certaine que mes interlocuteurs aient envie de m’entendre décrire cette contradiction complexe.
Mais ici, par écrit, je peux bien me permettre de livrer, à cette question qui revient chaque fois, une vraie réponse.
Quand on entre au salon par la grande porte, qu’on s’accroche un badge d’exposant autour du cou, tout le monde s’imagine qu’on s’en va jouer les vedettes. Madame l’auteure est en signature, wow!
On oublie juste que tout est très très relatif !
Imaginez le meilleur joueur de hockey du quartier. Celui qui torche dans les ligues de garages. Celui qui peut se permettre de jouer seul « contre le punch » et d’en sortir vainqueur.
Dans son entourage, on le considère comme « le meilleur ». Il est bon, il est excellent. Et puis, un jour, il est recruté dans la ligue nationale. Son village au complet est en pâmoison.
Mais voilà que tout à coup, parmi les grands, il n’est plus le meilleur. Il est même dans les moins bons. Il réchauffe souvent le banc et se retrouve à jouer uniquement en remplacement, quand les joueurs vedettes sont blessés.
Pour la première fois de sa vie, il se sent poche au hockey.
Julie Marcotte au salon du livre, c’est aussi ça.
C’est entrer dans le salon la tête haute, puis passer des heures à regarder les autres jouer… Observer les grands auteurs, qui roulent leur bosse depuis belle lurette, signer des livres à n’en plus finir.
De temps en temps, il y a bien quelqu’un qui s’arrête: « Ah ! Je voulais l’acheter ce livre là ! Mon amie l’a lu, elle l’a trouvé super bon ! C’est vous l’auteure ? »
C’est se sentir alors un court instant à sa place avant de recommencer à sourire dans le néant.
Être au salon du livre, c’est se demander mille fois ce qu’on fait là, mais être en même temps tellement fière d’y être !
Les premières fois, on camoufle à peine son ignorance. Et moi, avec ma foudroyante transparence chronique, je n’essaie même pas de la cacher. Je pose des questions à tout le monde. Mille questions. Et les réponses viennent à chaque fois nourrir mon amour naissant pour ce milieu dans lequel je viens tout juste de mettre le pied.
On me raconte les mésaventures d’une auteure vedette au caractère insupportable qui n’arrive plus à s’entendre avec personne. On me dit de me méfier de certains éditeurs pas fiables aux pratiques douteuses. On me décrit des personnages étranges et antisociaux, qui savent écrire des livres, mais qui ne sont pas présentables en public !
On m’explique que la littérature jeunesse, c’est le marché le plus lucratif. Que l’horreur ça fait vendre, que la fantaisie attire les geeks et les fans épeurants. Que la littérature érotique, ça se vend bien en ligne, mais que ça sort pas en salon, parce que les gens sont gênés d’en acheter…
Et tout à coup, Patrick Sénécal me salue de la tête et s’arrête discuter avec ma voisine de table. Je fais semblant de ne pas être impressionnée. Entre deux signatures, Jeanette Bertrand et Normand Baillargeon se mettent à rire et à discuter à quelques mètres de moi.
Je vois défiler les images de gens connus à la vitesse de l’éclair. Quand je croise leur regard, j’ai droit à un petit signe de la tête. Droit obtenu grâce à mon sublime badge qui m’identifie comme « membre de leur équipe ».
Dans la foulée, Marie-Claude Barrette s’arrête un instant et dépose sa sacoche sur le coin de ma table pour y fouiller plus facilement. Son très populaire politicien de mari l’attend et, en bonne petite groupie, je m’oblige à lui parler, tremblante.
— Bonjour M. Dumont. On s’est parlés à la radio le mois dernier. C’est moi qui tiens le blogue de joyeuses catastrophes, vous vous souvenez ? Je suis honorée de vous rencontrer…
Il acquiesce avec un sourire. Je doute fort qu’il se souvienne vraiment. Mais c’est un politicien, il sait très bien faire semblant ! Il m’accorde généreusement un selfie de qualité médiocre et poursuit son chemin avec sa femme souriante.
Le temps passe parfois vite, parfois l-e-n-t-e-m-e-n-t.
Puis, quand mon temps est fini, je reprends ma sacoche cachée sous un cubicule, soulagée d’avoir vendu au moins une dizaine de livres et rencontré une petite poignée de lecteurs, je saute dans le métro en faisant semblant de m’y connaître et je rejoins mes trois schtroumpfs et mon Adonis à l’hôtel.
Ma zone de confort. Je n’ai plus besoin de faire semblant de ne pas être impressionnée. Je lui raconte toutes mes péripéties, comme si j’arrivais d’une autre galaxie. Les enfants jouent dans la piscine, mon petit dernier tousse à s’en fendre les poumons. Un papa audacieux a décidé que son garçon de 3 ans apprendrait à nager aujourd’hui. Le petit s’époumone, terrorisé. La vie normale.
Nous sortons manger.
La proportion de gens étranges qui déambulent dans les rues de Montréal nous fait sourciller. Nous n’avons pas l’habitude. Tout le monde est un peu épeurant. Nous gardons nos enfants serrés contre nous, en bons touristes impressionnables.
Puis, le salon m’attend de nouveau. Pour un autre round. Le dernier de la journée.
Je re-saute dans le Métro, je fais de nouveau pendre à mon cou ce badge qui me fait relever la tête et sourire de fierté. Je passe par l’entrée des exposants. Je salue tous les auteurs que je croise de la tête, déjà plus habituée aux usages.
Je dépose à nouveau mes fesses sur ma chaise de métal que Marcia Pilote vient de quitter et je ressors mon sourire en espérant que quelqu’un s’arrête au plus vite.
L’attente est longue. L’auteure prolifique à ma droite signe sans s’arrêter de nombreuses dédicaces. Et moi je souris, encore et encore, pour cacher mon malaise.
Enfin, quelqu’un arrive et m’accroche du regard. Il s’approche et me dit qu’il est venu pour me rencontrer. Moi. Moi qui ne suis personne dans ce flot de vedettes. Il a lu mon livre. Il est bouleversé. Il me remercie. Il me demande de le signer. Il me remercie encore.
Quand il me quitte je me rappelle alors qu’être le plus petit dans le monde des grands, c’est quand même tout un privilège. Un privilège que je n’aurais jamais osé espérer avoir un jour.
Le lendemain, après une nuit sans sommeil, je rentre chez moi. Où mon autre vie m’attend.
Ma vie normale d’enseignante. De maman. De frisée.
Sur le chemin du retour, les enfants dorment dans l’auto, leurs nouveaux livres contre leurs petites poitrines. Mon Adonis est fatigué. Je suis tellement contente qu’il ait été là, avec moi. Pour m’aider à mélanger un peu mes deux univers.
De retour au travail, mes collègues me questionnent. Ils me félicitent pour ce bel exploit. Et j’hésite entre leur expliquer mon humiliation ou ma fierté. Parce que les deux existent, presque dans la même mesure.
Et puis la vie reprend son court. Un autre livre s’écrit. La ronde des salons recommence.
J’ai encore mille questions. Mais je commence aussi à connaître quelques réponses. L’humiliation s’atténue avec le temps. Et quand l’invitation revient, c’est chaque fois la fierté qui prend le dessus.
La fierté d’être une aussi bonne joueuse, dans ma ligue de garage où je me sens chez moi !
Marilou Addison et Marie Potvin. De sympathiques (et prolifiques) auteures qui savent faire sentir les petites nouvelles à l’aise !
À lire aussi:
Mon histoire avec le salon du livre, Le blogue de Diane
Salon du livre, toute la vérité, par Karyne Lefebvre
Claude Lamarche dit
Vous avez vendu dix livres? Vous êtes photographiée avec tout ce beau monde? C’est déjà mieux que plusieurs autres. Que moi.
Donc si ça peut vous faire du bien, vous n’êtes ni la seule, ni la première, ni la dernière à penser et ressentir le syndrome du p’tit (nouveau) qui joue dans la cour des grands.
Marie-Josée dit
Bonjour Julie! Je suis désolée mais je ne vais plus jamais au salon du livre: ça me dérange de payer pour un droit d’entrée, alors que je dépenses des miliers de dollars par année (c’est pas des blagues) en livres de toutes sortes. Juste pour te dire que je suis une de tes plus grandes fans et que j’ai commandé ton livre pour Noël! Tu me fais rire, réfléchir et pleurer presqu’à tous les coups dans tes chroniques: tu vises tellement juste! J’espère sincèrement que tu continues d’écrire encore longtemps!
xxxxx (même si tu ne me connais pas, j’ai tellement souvent l’impression que tu lis dans ma tête, que je me permets!!!)
Julie dit
Merci Marie-Josée !
Je comprends ton point avec le salon du livre, moi aussi je me demande toujours c’est quoi l’idée de faire payer les gens pour venir dépenser ! Comme si les gens devaient payer pour entrer au centre d’achats… Mais merci pour ton message, passe de belles fêtes et au plaisir de te rencontrer (gratuitement) un jour !
Helen Desjardins dit
J’aurais tellement aller te FIre un calin et te voir durant cette fin de semaine!
Malheureusement nous avion des engagements les deux journées.
Je t’assure que tes livres se promènent et mon entourage le lise,et l’aime.
J’ai acheter â mon passage à Quebec l’été dernier 2exemplaires de ta belle -mere!!
Tu devras renflouer sa cargaison!!!
XXooo
Laches pas !!j’aime te lire continue!!!
Tu es tres bonne ❣❣❣
Carl dit
Mouah ah ah!
Mes premiers gros salons (Montréal et Québec) ne se passaient pas du tout comme les petits (Estrie et Trois-Rivières). Les deux premières années dans les gros, j’étais heureux si je vendais trois ou quatre exemplaires par jour. Dans les petits, par contre, va savoir pourquoi je roulais mieux. Je m’en sortais avec une dizaine par jour. C’est davantage ma blonde qui trouvait ça triste. Moi, avec ma mentalité de « faut commencer petit et persévérer », je trouvais que ça allait de soi de commencer en bas de l’échelle. Tu t’en doutes, c’est plus pareil aujourd’hui 😉
En passant, ces photos, es-tu certaine qu’elles datent de cette année? 🙂
Julie dit
Ça fait tellement du bien d’entendre « les grands » nous raconter qu’ils ont aussi été au bas de l’échelle !
Et tu as raison, la plupart des photos datent de 2014… J’ai fait un mixte de toutes mes expériences de salons (pour un gros total de 4…). Mais c’est surtout que j’ai pris une seule photo cette année donc il fallait bien puiser quelque part !
Carl dit
Bah, quand je vendrai autant que Senécal, là, tu pourras dire que je suis grand 😉
Pour l’instant, je suis simplement de la batch d’auteurs précédente 😀