« Mon enfant, pourquoi pleures-tu? », ai-je demandé, calmement, à mon garçon de 4 ans hystérique. Je n’ai pas eu de réponse, il était trop occupé à frapper le sol avec ardeur et à se vider de tous ses liquides corporels. J’ai donc cherché des réponses ailleurs. Je les ai trouvées, les réponses, mais honnêtement, je pense que j’aurais préféré ne pas savoir. En se référant à l’ampleur de la crise, on aurait pu croire à quelque chose de grave. Une catastrophe, clairement. Une blessure sanglante ou une grosse chicane. Au pire, avec le sens du drame dont est doté mon cadet, il aurait pu égarer sa précieuse Girafe ou se voir refuser l’entrée dans la chambre de sa sœur. Admettons qu’il en mette vraiment, dans le pire des cas, j’aurais dit que ses bobettes le grattent ou qu’il s’ennuie de son cousin.
Mais non. Cette affreuse tristesse qui l’accable, cet horrible drame, ce tourbillon de terribles sentiments a pris naissance dans une déclaration fracassante :
« On va souper! »
On va souper!!! C’est ça le déclencheur! Mon enfant pleure parce qu’il va devoir MANGER! Je ne sais pas mais moi, il y a quelques fils dans mon cerveau qui se touchent quand j’entends un truc pareil! Il y a une sorte d’indécence indescriptible dans la scène.
Depuis qu’il existe, l’homme s’affaire à sa survie avec, comme objectif premier, de se nourrir. Certains y ont travaillé fort, à longueur de journée. À ce jour, plusieurs y travaillent encore, parfois sans succès. Et j’ai devant moi mon fils, du haut de ses quatre ans, qui cracherait volontiers sur le repas que nous lui avons préparé.
Peut-on le blâmer? Il n’a jamais connu le manque, le besoin. Comme la plupart d’entre nous, il ne mange que par plaisir et n’a jamais en tête l’idée de se nourrir…pour vivre! Sauter un repas, ce n’est rien quand on sait très bien que le garde-manger déborde et que le prochain repas viendra bien assez tôt.
Sachant très bien, parce que nous y avons travaillé depuis plusieurs années déjà, qu’il devra indiscutablement manger OU se coucher, il daigne se présenter à table. Il gratte la viande, fait tourbillonner les patates. Il recouvre tout de ketchup puis liche les aliments du bout des lèvres. Toute la famille a terminé, lui, il y est toujours, la face longue, opprimé. Plusieurs minutes plus tard, il me tend son assiette.
– Mais tu n’as pas mangé tes patates! Retourne t’asseoir!
– Non maman, c’est parce que j’aime pas les POILURES.
– Les quoi?
– Tu sais, les POILURES, personne n’aime les POILURES!
J’examine ses restants en tentant de comprendre.
– Ah! Tu veux dire les PELURES!
– Oui, c’est ça, les PELURES de patates.
Ça me rappelle cet autre repas, tout aussi pénible cette semaine. Il avait fini par avaler ses asperges mais je me suis vite aperçue qu’elles flottaient dans son verre de lait!
– Hey! Tu as recraché tes asperges!!!
– Non maman, tu ne comprends pas, c’est les asperges qui ne voulaient pas que je les avale!
Depuis le temps, on a retrouvé des crachats de nourriture un peu partout. Il met en œuvre toute sa puissante créativité pour éviter d’avoir à manger mes infects repas. Pourtant, nous lui avons expliqué de long en large la reconnaissance, la santé, la pauvreté.… Tant que le besoin n’est pas réel, la prise de conscience ne l’est pas non plus.
Alors que faire? Le priver de nourriture assez longtemps pour qu’il sente ses entrailles se tordre et qu’il comprenne? Et fera-t-on la même chose pour ses jouets, ses vêtements, sa maison pour lui soutirer un peu de reconnaissance?
Pourquoi pas le faire dormir à la belle étoile toute une semaine, sans jouet et en petit caleçon?
Bien sûr que non….
Mais un peu de modération peut-être? Nos maisons débordent de joujoux, les garde-robes des enfants sont pleins à craquer et ils ont bien souvent des tonnes de collations à leur portée. « Pourquoi les restreindre quand on a les moyens? » Me direz-vous. « Pourquoi les priver? » Pour les éduquer, je vous répondrai….
Un peu moins de bébelles, plus souvent usagées. Les vêtements des grands frères, quand ils ne sont pas trop usés. Des collations à heure fixe et un peu de modération à l’épicerie. Je ne vois pas comment, autrement, nous pourrons éveiller chez nos petits la reconnaissance que nous espérons.
Peut-être que mon garçon comprendra alors que certains pleurent pour de vraies raisons. Que les larmes, quoique salutaires, ne devraient pas être outrageusement gaspillées devant un copieux repas qui, expédié à l’autre bout de l’océan, aurait pu éviter à une mère de voir mourir son enfant. Des enfants pour qui quelque POILURES de patates seraient amplement suffisantes…
Annabella dit
Eh bien, je ne sais pas ce que j’aurais fait si mes enfants ne mangeaient presque rien de ce que je leur propose. J’ai beaucoup de chance, car mon fils et ma fille aiment tout, que ce soit les légumes, les fruits ou le poisson, par exemple. La seule chose qu’ils n’apprécient pas vraiment ce sont les petits pois et les haricots.
Syndie dit
J’ai des enfants qui font comme les tiens Julie.
Pour ma part, je dirais que mon grand a mangé de tout jusqu’à son entrée à l’école où tout à coup, il est devenu difficile. (Je ne fais aucun lien avec l’entrée à l’école par contre, ça ne vient pas de là, j’en suis certaine.)
C’est comme si à 5 ans, il avait réalisé qu’il pouvait faire le difficile…
Ma puce de 4 ans mange de tout à la garderie, ne fait aucun caprice sur la nourriture… Et pourtant à la maison, j’ai le droit à des ouachs, je n’aime pas ça, ce n’est pas ce que je voulais, je ne mange pas ce qui est vert, etc… Je fais comme toi, tu ne manges pas, tant pis pour toi… J’ai même poussé l’exercice plus loin en mettant le souper dans un plat et en lui redonnant le lendemain au diner… Insulte total pour petite puce… On parle des personnes dans le besoin, mes enfants savent qu’ils ne peuvent pas avoir jusque ce qu’il leur plait. Je ne crois pas avoir mal fait les choses, je n’ai jamais encouragé d’être difficile. Je pense plus qu’ils sont entrain de développer leur goût aussi… C’est très possible que certains de mes enfants n’aiment pas les champignons, les huitres, ou autres… J’ai aussi des choses que je n’achète pas par goût.
Mais c’est sur que je pousse, je leur fais goûter de tout. Parfois c’est un succès, d’autres un fiasco, mais je suis certaine qu’on fait tous de notre mieux 😉
karine couture dit
Je suis boulverser chaque fois que j’entend des horreurs comme celle là…Si cet enfant serait né ailleurs dans le monde il ne ferait pas ça.
Donc c’est un comportement appris.
Imaginez qu’il soit né dans un pays ou la nourriture manque, JAMAIS les parents n’auraient acccepté une plainte à table. Je pense que s’il n’a pas faim qu’il ne mange pas, si il ne veut pas ce qui est sur la table, qu’il s’en prive avec aucune attention surtout.
Parcontre, il doit être sensibiliser à combien la nourriture est précieuse et ça commence par l’attitude des parents face à la nourriture. Est ce que les parents la gaspillent? est ce que les parents sont concient de la chance qu’ils ont devant la nourriture? Les parents devraient regarder ce qui se passe dans le monde avec l’enfant. Les parents ne devraient jamais tolerer qu’un enfant pousse une assiette (le geste=attitude)
Est ce que les parents changent le menu pour plaire constamment à l’enfant et le rendre difficile au point de ne plus rien aimer?
J’ai deux enfants et ils mangent vraiment de tout parce que je l’ai ai élevé avec l’attitude de grand respect et appréciation devant la nourriture..S’il aiment pas,un humain peut vivre 40 jours sans nourriture…..il faut réveiller l’instinct de cet enfant, personne ne se laisse mourrir!
J’ai voyagé dans les pays pauvres et moins pauvre et aucun enfant ne fait cela. Ce n’est donc pas une caractéristique de l’enfant, le comportement est appris et encouragé inconsciemment par les parents. Ce n’est pas de rendre service à l’enfant, durant ce temps,il manque le plaisir de manger.
Julie dit
Bonjour Karine.
Évidemment, c’est un comportement né de notre réalité sociale. D’où le besoin d’investiguer et d’essayer de voir ce qu’on peut y changer. Pour ma part, j’ai l’impression d’avoir fait bien des choses pour l’éviter (je n’ai jamais proposé d’autre menu, jamais toléré les plaintes à table, présenté d’autres réalités bien souvent, etc…). Par contre, le côté « qu’il s’en prive avec aucune attention » crée des difficultés chez nous. Pas pour le fait de le priver, il s’est couché bien des fois sans manger! Mais plutôt parce que le « sans attention » me semble impossible puisque, lorsqu’il ne mange pas suffisamment au repas, il réclame des collations sans arrêt ou devient très grognon. Je n’ai alors pas le choix de lui donner de l’attention ne serait-ce que pour lui faire comprendre qu’il n’aura pas autre chose ou qu’il doit aller se coucher parce qu’il fait subir à toute la famille sa mauvaise humeur. Je pense qu’il n’y a pas de solution magique, mais un paquet de petits gestes qui peuvent,avec le temps, améliorer les choses…
karine couture dit
en tout cas lâche pas! n’oublie pas qu’il y bien des choses qui sont des « privilèges » et qui peuvent être enlevé suite à une humeur grognon…il s’agit de trouver ceux à qui il tient le plus et qui va le déranger…difficile pour les parents mais ça vaut le coup…après il sera plus heureux!
Bonne chance en tout cas!