Ça aura pris 19 jours. 19 jours à ma solitude pour devenir triste.
Et quand je parle de solitude, ce n’est pas que je sois si seule… Mon toit abrite aussi 4 autres êtres grouillants et pétillants. L’homme et la progéniture.
C’est plutôt que, comme le dit si bien Daniel , nous sommes seuls ensemble.
J’aime la solitude et son ami silence. J’aime ce lieu où l’esprit s’égare sans interruption, sans invasion.Et pourtant, après 19 jours, le besoin de l’autre est devenant plus grand que l’amour de la solitude.
Cette solitude qui, en temps de pandémie, a perdu son équilibre. Les familles confinées avec de jeunes enfants en manquent. Les gens seuls en ont tellement qu’ils ne savent plus quoi en faire. Elle est chez les uns trop présente, chez les autres trop rare.
À elle s’attache ma tristesse nouvelle…
La tristesse du manque d’étreintes et de sourires. Celle qui vient avec l’éloignement des proches, de la famille. La nostalgie des bonjours matinaux au travail et des compagnons de dîner. Et celle de nos activités chouchou qui nous ont été enlevées.
Et surtout, je crois même plus que tout, la tristesse d’avoir quitté mes élèves sans leur dire au revoir. Le manque que crée leur absence dans mes journées. Même si je m’adresse à eux quotidiennement, il n’y a plus leurs visages, leurs rires, leurs sourcils froncés et leurs mains levées. Leur énergie pour faire passer les journées à vitesse grand V.
Il n’y a plus ce contentement satisfaisant, à la fin de la journée, de leur avoir survécu… Un contentement qui, étrangement, me manque.
En parallèle de cette tristesse, la pression se détache de mes épaules doucement. Me traverse le dos pour se répandre au sol et me laisser légère. La lenteur des jours qui se succèdent ne ressemble plus à rien, sauf peut-être à mes vacances d’été d’enfance. Des jours baignés d’engourdissement, où les minutes demandaient à être meublées.
Je redécouvre le plaisir de caresser les pages d’un livre après l’autre. D’anticiper la prochaine lecture. De lire sans perdre le fil parce que trop de temps me sépare du prochain chapitre.
Tout à coup, les réponses sont moins expéditives. Quand mes enfants me demandent ce qui se passe, ce qui arrive, je fais durer les mots et les explications. Je prends des détours, j’évite les raccourcis. Je me rallonge en leur parlant de nous, de l’humanité, de la nature, des animaux, de l’histoire, des maladies. Des rallongies qui écourtent la distance entre nous.
« Regardez, le soleil s’en fout ». C’est ce que je leur lance quand on met le nez dehors. « Oui, mais nous, non » me répondent-ils. Ils ont l’émotion confuse. Qui balance entre toutes ces joies nouvelles et tous ces petits deuils de leur vie sur pause. Ils savourent l’absence de pression et de course. Se lèvent et s’habillent à leur rythme, que nous ne connaissions même pas avant que la pandémie ne nous le révèle.
Ils apprécient la joie du pyjama, la douceur de la robe de chambre. Se délectent du temps qui abonde enfin pour réaliser tous leurs projets. Ils se surprennent de tous les « oui » qui sortent de nos bouches. De ces permissions spéciales qui pleuvent sur leur confinement. Oui pour une collation spéciale, oui pour faire les devoirs plus tard. Oui aux jeux de société, oui aux casse-têtes. Oui à la peinture et aux dégâts. Oui à un hamac. Oui à la pizza.
Quelques non les ramènent bien à la réalité, question de garder au moins le gros orteil sur terre. Cette terre qui ne tourne plus pour nous. Et à l’inverse de ces joies, ils perçoivent le grand vide de l’isolement. Ces deux mètres, comme des kilomètres entre nous. Et cette même tristesse, parfois, les envahit. Le besoin de l’autre les rattrape. La pensée d’une cour de récréation, de blagues avec les copains et de repas de la cafétéria leur mouille les yeux. Ils n’ont pas dit « Au revoir », pas dit « Bonnes vacances ! » Ils ont laissé derrière eux, dans les couloirs des écoles sans vie, leurs espadrilles, leurs petits plats et leurs cahiers.
Leur enseignante en deuil et leurs amis déboussolés.
Mais ils savent maintenant. Ils savent que rien ne leur est acquis. Ni les vacances au chalet, ni les fêtes d’anniversaire, ni les sorties étudiantes ou les soupers chez les grands-parents. Ils se sont vu prendre ce qu’ils croyaient être à eux. Et les voilà forcés d’admettre que rien ne leur est dû.
Et nous voilà, forcés d’admettre que rien ne nous est dû. Ni notre emploi, ni la présence de nos amis, ni même le droit d’entrée à l’épicerie.
Nous savons que la terre peut crier avec force et réclamer à tout moment son dû.
Et dans quelques semaines, nous en saurons bien plus sur nous-mêmes. Sur ce qui nous unit ou ce qui nous divise. La vraie nature des choses et des gens qui nous entourent. Le temps glissera sur ce nous croyions précieux et nous en révélera la véritable valeur.
Peut-être qu’après, quand la terre tournera de nouveau, les enfants iront à l’école sans rechigner. Rendrons grâce pour les repas. Chériront leurs amis et les aimeront mieux. Auront le cœur réjouit pour presque rien et sauront dire merci. Peut-être qu’après, les parents laisseront leurs écrans de côté pour quelques morceaux de casse-têtes. Ne garderont près d’eux que les gens qui y ont véritablement leur place. Recycleront sans se questionner et prendront le temps de répondre sans raccourcis.
Peut-être aurons-nous parfois envie de nous confiner un peu. Juste un peu. Pour retrouver un instant le vide qui nous aura fait renaître. S’y réfugier pour se souvenir.
Se souvenir de cette tristesse… Celle qui, doucement, nous aura transformés.
À écouter:
La planète Pleure, JF Hamel
Guy dit
….le quotidien, la vraie vie,..dans un autre espace-temps…celui de la covid-19… j’aime lire votre chronique de la vie qui se déroule…passé, présent,futur,….c’est simple,vivant et touchant…merci
Suzon dit
Bonjour Julie
C’est beau de voir la vie comme tu la présentes, et comme elle l’est.
C’est doux, c’est simple, c’est vrai.
Rien de plus beau, de plus précieux que la famille. Sans les autres, nous ne sommes pas grand chose.
Je vais dire comme toi « joyeuses catastrophes «
Céline Julien dit
T’as donc raison!
Comme toute épreuve, c’est difficile pendant que ça passe. Comme des vagues
les émotions vont et viennent.
Mais je suis convaincue qu’il restera de bonnes choses de tout ça.
Il faut tenir bon pendant que ça passe
et Dieu est un appuie sans faille.
On lâche pas!
Caroline dit
Que dire de plus… Tu es merveilleuse belle Julie❤️