J’aimerais être moins irritable.
Je suis émerveillée par les gens qui arrivent à garder leur calme devant un verre de lait renversé, un imprévu qui les met en retard. Qui peuvent chercher leurs clés dix minutes sans ronchonner et entendre crier leurs enfants sans sourciller.
Ma vie n’est pas encore finie. J’ai 36 ans. Je me dis que, si j’y mets un peu de cœur, il est peut-être encore temps pour moi de devenir comme eux. D’accorder moins d’importance à tous ces petits riens qui, finalement, sont loin d’avoir une portée éternelle.
Depuis quelque mois, c’est donc ma nouvelle résolution, mon nouveau mantra. Je ne m’irriterai pas.
Bon, je ne suis pas encore très performante. Mais j’y mets du cœur, je le jure !
Le vendredi, d’habitude, c’est ma meilleure journée. Le facteur de gravité est toujours plus faible le vendredi. Rien n’est vraiment grave… Parce que c’est vendredi !
Et pourtant, vendredi dernier, je n’ai pas été à mon meilleur.
D’abord parce que mon garçon de 8 ans a remis ça avec la crise matinale du type « je veux absolument porter tous les vêtements que tu ne veux pas que je porte ».
Avec 0 degré au mercure, il refusait de mettre quelque manteau que ce soit. Et pour ceux qui connaissent mon charmant fils no.2, il n’est pas exactement du type à flancher sous la menace, à rendre les armes devant une conséquence ni même à discuter ou à devenir raisonnable.
Pas trop son genre !
Je le comprends, c’est tout moi.
Il y a déjà longtemps que mon conjoint me somme de « le laisser faire ».
C’est lui qui va geler et qui va avoir l’air fou !
Ouin. Je comprends le point. Mais c’est aussi un peu moi qui ai l’air folle quand mes collègues s’aperçoivent que mon fils est habillé tout croche (ou juste pas habillé du tout) … Et j’avoue que j’ai aussi beaucoup de mal à accepter qu’à 8 ans (et c’était pareil quand il avait 2 ans soit dit en passant), je ne puisse pas, MOI SA MÈRE, obliger mon fils à porter ce que je veux qu’il porte !
Alors je fais comme lui, je m’entête. Je ne lui donne pas le choix. Pris au piège, il prend son manteau, offusqué, et s’assure de me faire la vie dure jusqu’à ce qu’on arrive à l’école. Il grogne, est à la limite d’être impoli, fait fâcher son frère, donne des coups de pieds dans mon banc.
Alors ce matin-là, on avait beau être vendredi, je dois dire que j’ai commencé la journée irritée. Fail.
Puis, après que j’aie menacé mon fils de le vendre au marché aux puces, mes élèves sont arrivés, je me suis ressaisie et la journée à suivi son cours.
Quand elle s’est terminée, mes trois enfants m’ont rejoint dans ma classe, comme ils le font chaque soir après l’école. J’avais hâte d’être chez moi, de savourer mon vendredi, de passer un bon moment avec mon numéro 2 pour compenser notre formidable altercation matinale.
Mais j’avais de la correction à faire. Et il était hors de question que j’y passe mon samedi ou mon dimanche. Je voulais en venir à bout avant de partir.
15h45, 16h00, 16h15, 16h30, 16h45, 17h00…
Quand j’ai enfin mis le trait de crayon rouge final sur la dernière copie, il était près de 17h15 et je sentais dans mes tripes l’urgence d’être chez moi.
C’est alors que les choses se sont gâtées. Lorsque j’ai levé les yeux de mon travail et enlevé les coquilles que je porte lorsque je corrige en présence de mes enfants, ma classe était un vrai capharnaüm !
Mon plus jeune garçon, fraîchement entré en maternelle, avait éparpillé des livres partout, des blocs, des collants, des cartons, des jouets….
J’ai tout de suite compris que j’en avais encore pour un bon 15 minutes. Et c’est là que l’irritation s’est repointée le bout du nez.
17h30. La classe était enfin rangée. J’ai annoncé notre départ et tout a déboulé.
- Je dois aller chercher ma veste à mon crochet !
- Ah ! J’ai oublié de changer mes souliers !
Mes deux grands n’étaient pas prêts. Et quand à mon petit, son sac d’école était introuvable. Nous sommes partis en excursion dans l’école. Service de garde, cour avant, cour arrière, sa classe, son crochet, les objets perdus…
Son sac n’était nulle part. Et j’étais furieuse.
L’école était presque déserte, seul le concierge y travaillait encore. Mais sa présence ne m’a malheureusement pas empêchée de péter les plombs !
Franchement les enfants, vous êtes insupportables ! Sans vous, j’aurais passé une très bonne journée!!!
Ce fut l’horrible conclusion de ma superbe montée de lait.
17h45, j’ai mis les enfants dans l’auto, furax, et je leur ai imposé un silence total, furieuse d’être furieuse et me demandant déjà comment je pourrais faire pour sauver notre vendredi… Dans l’auto, deux enfants sur trois étaient en larmes.
Re-fail.
Je culpabilisais à mort. Et le concierge qui avait entendu tout ça ? Que devait-il penser de moi ? Une enseignante qui n’arrive même pas à garder son calme avec ses propres enfants…
Après un détour obligé chez ma mère pour régler une formalité, j’ai enfin mis le pied dans la maison et l’ambiance y était répugnante. Décidée à sauver les meubles, j’ai décrété 10 minutes dans nos chambres pour tout le monde qui serait suivi d’un caucus familial dans le salon.
Ce 10 minutes suffit à me calmer, mais pas à me rendre moins misérable.
Une fois réunis au salon, les enfants se sont exprimés à tour de rôle, je me suis excusée au moins 50 fois et chacun a retrouvé peu à peu son sourire. Lorsqu’ils sont retournés jouer, j’ai dit à mon bel homme.
Je ne peux pas croire que j’ai explosé comme ça devant le concierge ! Je voudrais tellement retourner en arrière et revivre la situation en gardant mon calme et mon sourire. C’aurait été tellement différent.
Et c’est ce moment que choisit le téléphone pour sonner. Sur l’afficheur apparaissait le numéro de l’école. J’ai décroché. C’était le concierge.
Mme Marcotte, je voulais juste vous dire que j’ai retrouvé le sac de votre garçon. Je l’ai mis dans votre classe. Je voulais vous appeler parce que je ne voulais pas que vous vous tracassiez avec ça. Vous faites un travail très exigeant et en plus vous devez vous occuper de vos trois enfants après l’école… Vous méritez de passer une belle fin de semaine !
J’ai eu de la misère à lui répondre sans me mettre à sangloter. Un tel élan de grâce et de gentillesse ! Moi qui m’inquiétais qu’il soit en train de me juger sévèrement…
Je l’ai remercié mille fois et après avoir raccroché, me suis effondrée en larmes, profondément touchée par son geste.
Ce genre de geste d’amour gratuit, c’est tellement ce qui nous rend meilleur. Cet homme avait été beaucoup moins sévère envers moi que je ne l’étais moi-même. Et s’il pouvait me gracier aussi facilement, je devais pouvoir me pardonner aussi et me donner le droit de savourer mon congé sans le passer à me culpabiliser.
Dans les médias, on parle souvent des gens qui sont tout croches. Égoïstes, fous, violents. On ne parle peut-être pas assez de ceux qui, comme mon concierge, ont des gestes complètement altruistes qui ont le pouvoir de changer bien des choses.
Et me revoilà en piste, complètement graciée par mon entourage et de nouveau armée de belles résolutions. Ce sera un combat de longue haleine, je le sens, mais en cas de besoin, le souvenir de cet appel de mon concierge me donnera la force de me relever à chaque échec et d’aller de l’avant.
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Catherine Pagé dit
Très beau texte. J’ai vécu un peu la même chose la semaine passée, avec « mon » concierge. J’enseigne au préscolaire et il arrive dans notre secteur après les classes pour faire le ménage. Jeudi dernier, il remplaçait le concierge de jour. Il me dit: « Eh grosse journée! ». Je pensais qu’il parlait de sa tâche en présence des enfants, du fait qu’il avait remplacé son collègue et que là, il devait s’attaquer à sa tâche à lui. Mais non, il parlait de la mienne: « En tout cas, vous pouvez bien être fatiguée, le soir. J’ai vu tout ce que vous faites dans une journée. Wow! C’est impressionnant. ». Il n’était pas obligé de me dire ça. Ça a été une belle tape dans le dos. Habituellement, il a seulement des bribes du récit de mes journées. Là, il y assistait.
Julie dit
Ça fait tellement du bien ce genre de petite tape dans le dos !
Karina dit
Ahhhhh, la la! J’aimerais tant pouvoir recommencer mes journées 5 ou 6 fois parfois. Revenir en arrière une bonne douzaine de fois aussi. On est si dures envers nous-mêmes! Et, comme tu le dis si bien, beaucoup plus que ceux qui nous regardent aller. D’une maman à une autre, je te lève mon chapeau et je tiens à te dire que tu es inspirante, remplie de bonne volonté et pleine d’amour. C’est normal de « failer ». Tout le monde « fail ». L’important, c’est de se rappeler que demain est un autre jour et que la journée qui ne s’est pas terminée exactement comme on le souhaitait peut (et sera) meilleure le lendemain! 🙂
Julie dit
Merci Karina !
Gaétan D dit
Julie tu es merveilleuse, merveilleuse de pouvoir te raconter (ce que tu vis, tes faits vécus), merveilleuse de pouvoir te raconter (mettre si bien en texte tes expériences de vie) et de pouvoir évaluer les bons cotés des mauvaises expériences. c’est rafraîchissant de te lire. Bravo
Merci concierge de tes aides car ils ne sont sûrement pas spécifiques à ma belle-fille.
Gaet
Julie dit
Ah! Mon beau-papa ! Merci pour ces encouragements. Ils me touchent droit au coeur. On est tellement meilleure quand on est bien entourée… Et je le suis définitivement.