Il y a tout juste 7 semaines, presque 8, je terminais ma journée avec mes élèves. Essoufflée, comme toujours, d’un essoufflement habituel et familier. Un essoufflement qui, sans être confortable, faisait partie d’une routine, de la normalité.
Et puis, il y a eu cette réunion d’urgence, celle où est apparue pour la première fois le mot Coronavirus dans notre école. Outre quelques gens plus informés et inquiets, la plupart ont été prompts à tourner la chose en dérision
Ce sera un autre H1N1 ! On fera tout une histoire, on obligera un vaccin pour rien et on en parlera plus !
On ne parlait pas de fermeture alors, seulement de mesures de préventions. Quelques lavages de main, du Purell en quantité et la consigne pour tous de se tousser dans le coude.
Rien qui ne laissait présager la tempête qui s’en venait.
Tempête qui arriva le lendemain, d’abord sous forme de poudreuse. Les écoles furent fermées, en premier lieu pour des conditions strictement météorologiques, puis, plus tard dans la journée, pour des raisons pandémiques.
Pour deux semaines, ont-ils dit.
Si alors on m’avait pris par les épaules et on m’avait annoncé ce qui viendrait par la suite, jamais je ne l’aurais cru.
Si on m’avait dit que quelques semaines plus tard, je mettrais à la hâte les effets personnels de mes élèves dans des sacs à ordures. Qu’en guise de souvenir de leur année et d’au revoir ils recevraient un grand sac noir contenant leur matériel pêle-mêle….
Si on m’avait dit que les corridors deviendraient des sens uniques et les salles de bain des zones de désinfection…
Que je devrais vider ma classe, me départir de tout mon beau matériel, chèrement payé, accumulé et pensé avec amour… Et tout ça pour accueillir le tiers de mes élèves.
Ce seul tiers qui me reviendrait. Un tiers qui se saluerait de loin, s’installerait à une place pour ne plus en bouger de la journée. Qu’après m’avoir demandé pendant des années d’intégrer le mouvement, l’action et les déplacements à ma pratique, on me demanderait de tout faire maintenant pour que plus personne ne se déplace.
Si on m’avait dit que le deux-tiers restant de mes élèves m’attendrait en ligne, m’envoyant des photos chaque jour de leurs travaux.
Si je m’étais vue alors essayer de trouver à qui appartiennent les bottes, les gourdes et les patins pour les mettre dans le bon sac…
Sortir à bout de bras mes meubles et entreposer tout mon matériel de manipulation.
Si j’avais pu me projeter dans ce moment où j’accueillerai mes petits de loin, sans les toucher, et où le simple fait de me pencher sur leur travail deviendrait un geste sanitairement complexe… Je ne l’aurais pas cru.
Je n’aurais pas voulu le croire. IMPOSSIBLE. C’est le seul mot qui me serait venu à l’esprit.
Et pourtant aujourd’hui, j’ai vu des enseignants faire l’impossible. Indépendamment des tâches, des rôles et des salaires. Tous, la main à la pâte pour créer cet univers qui, en début de cette année 2020, n’était pas envisageable.
Je nous ai vu faire des miracles. Remplir des sacs sans se laisser abattre, portés par l’adrénaline qui déferle devant les défis qui nous attendent.
Je nous ai vu inventer des classes et de l’espace. Cogiter, déjà, des idées pour faire sourire nos élèves.
Je nous ai vus, tous dans le même bateau, nous offrir mutuellement des sourires mélancoliques et solidaires.
C’était à la fois triste et beau.
La semaine prochaine, nous rendrons l’impossible possible.
Et de cela, toujours, nous pourrons être fiers.
Sylvaine Boucher dit
J’ai enseigné pendant 35 ans au préscolaire. J’ai pris ma retraite en 2016. J’ai plusieurs amies qui enseignent encore et votre article traduit bien la réalité qu’elles vivent présentement. J’ai lu avec plaisir « 180 jours et des poussières » et « 180 jours et le coeur plein ». Vos histoires nous ressemblent. Merci!
M dit
Merci pour votre force et votre résilliance , d’être présente et d’accompagner (physiquement et virtuellement) les petits humains pour qui vous êtes un modèle ! A vous et a tous ceux et celles qui se donnent sans compter pour ce que nous avons de plus précieux , MERCI
Brigitte dit
Merci pour ce texte…. ça expose des faits et du bon vouloir. Ce ne sera pas facile mais chaque petit geste de la part de l’enseignant aura un impact dans la vie des touts petits…. oui ça semble irréel tout ce qui se passe. Je prie pour les enseignants que Dieu a placé dans la vie de nos enfants et petits enfants. Je salue votre dévouement.
Josee Fleurent dit
Bonjour Julie,
Je vois dans ton texte la tristesse, la crainte, le doute, l’incompréhension, mais je vous aussi la force, la résilience, le courage et l’amour, beaucoup d’amour pour plein (au moins le tiers) de jeunes garçons et filles qui vont, comme toujours, te le donner en retour.
Bon courage à vous chères enseignantes et chers enseignants, bon courage à toi Julie.
Mon amour et mes prières sont avec vous tous.
Josée
Helen Desjardins dit
Chère Julie que j’aime .
J’aime aussi te lire.
Je te souhaite courage et force dans cette nouvelle étape .
Oui tu feras ton possible avec l’impossible,
Que Dieu vous aide tous à faire de cette fin d’année scolaire un miracle ‘
Et surtout mon grand désir et ma prière ,que vous soyons tous épargnés de cette covide si ratoureuse.
Avec tout mon amour
Tante Helen