Il ne m’est jamais venu à l’idée de m’inscrire dans une compétition de mécanique.
C’est super la mécanique… C’est juste que je suis du type à déverser mon lave-glace dans le récipient à huile et à ne rien comprendre lorsque j’insère la tige pour vérifier l’huile dans mon tuyau à lave-vitre…
Dans nos écoles, les enfants eux n’ont pas le loisir de choisir. Ils doivent s’affronter dans presque tous les domaines, qu’ils le veuillent ou non.
L’enfant dyslexique participe à la dictée PGL, le grand timide doit faire le concours d’expression orale et celui qui a un tonus musculaire déficient, n’est pas pour autant exempté des compétitions sportives. Et on s’étonne ensuite de les voir dealer de manière prématurée avec le stress !
Pour certains enfants, parfois dodus et malhabiles, courir aux olympiades de l’école devant une foule en délire (leurs parents, leurs amis, leurs profs), ça équivaut pas mal à envoyer Julie Marcotte dans un concours télévisé de jardinage ! Tsé, le genre de situation où les chances de bien s’en sortir sont de 0,000006%.
Alors la question qui revient toujours, et que je suis loin d’être la seule à poser, c’est : est-ce qu’on devrait continuer de mettre les enfants en compétition contre leur gré ?
Même si je suis loin d’être en faveur des humiliations publiques, je comprends bien que les enfants ont besoin d’être poussés à leurs limites pour découvrir leur plein potentiel. Qu’on le veuille ou non, c’est souvent dans la compétition qu’émergent les plus grands talents.
Et d’autre part, si on considère que l’école est une « préparation à la vie », n’a-t-elle pas un devoir d’enseigner aux enfants comment vivre avec les humiliations ? La vraie vie, on le sait, en est malheureusement remplie…
Débouler des marches en publique, devoir chercher son top de maillot de bain égaré dans une piscine à vague, perdre une promotion au profit d’un vrai moron, se faire domper par un conjoint infidèle ou se prendre les pieds dans ses lacets en allant à l’épicerie… Personne n’est à l’abri de l’humiliation.
J’ai vu, dans les dernières années, ma fille être constamment la dernière dans les compétitions sportives. Et de loin. J’ai vu aussi mon fils cadet avoir l’impression qu’il « ne gagnera jamais rien » et s’enfarger dans son estime de soi fragile à de nombreuses reprises.
Quand nous avons compris que je nous ne pourrions pas leur éviter ce genre de situations, moi et mon Adonis (mon indispensable partner) nous sommes donnés une mission : et si nous apprenions à nos enfants à bien vivre avec la compétition, peu importe leur performance. À faire tourner les choses en leur faveur. À tirer profit de chaque situation.
Et si une course n’était pas seulement un concours d’agilité musculaire ? Et si ça devenait une épreuve de persévérance. Un test d’attitude. Un défi à sourire du début à la fin ? Et si une dictée ne relevait pas seulement de l’orthographe ? Si elle mettait en jeu la satisfaction du travail bien fait ? La capacité à progresser ?
Et si, dans toutes ces situations, reconnaître et se réjouir du talent des autres se révélait être le plus grand des enjeux ?
Et si leur confiance en eux devenait tellement solide, qu’elle les faisait briller dans toutes les compétitions, peu importe leur performance ?
On pourrait dire alors qu’ils sont prêts pour la vraie vie, non? On ne s’inquièterait plus de les voir s’effondrer au premier refus, à la première peine d’amour, au premier geste d’intimidation. Et si on tirait profit de toutes ces compétitions un peu malsaines et qu’on s’en servait pour former des êtres humains sensibles aux autres, mais profondément ancrés ?
Autant moi que mon bel homme avons été enthousiasmés par cette superbe divagation spirituelle utopique et en avons fait notre devise.
Plusieurs discussions philosophiques entre deux bouchées de spaghetti plus tard, est venu le jour des olympiades annuelles de l’école. Olympiades que j’avais d’ailleurs moi-même en profonde aversion dans ma jeunesse. On riait de moi parce que je courais sur le bout des pieds ! Mes adversaires trouvaient ouvertement rassurant de m’avoir à leur côté; elles étaient ainsi assurées de ne pas être « la pire » ou la dernière. J’avais toujours peur de me casser le dos sur la barre des sauts en hauteur et, à l’adolescence, j’en voulais à mon énorme poitrine de rebondir jusqu’à mon menton pendant les courses, me mettant malgré moi en vedette auprès de la gente masculine. Toutes des raisons bien valables, vous en conviendrez, de détester avec ferveur cette horrible journée.
Mais surprise ! Autant ma grande intellectuelle que mon petit passionné aux performances très médiocres se sont montrés enthousiastes ! Ils y allaient de grandes déclarations qui nous faisaient frissonner de satisfaction.
« Moi j’ai hâte aux olympiades parce que je sais que même si je finis la dernière, il y a aura des gens qui vont être fiers de moi ».
« Ben moi je gagne jamais rien, mais c’pas grave, je vais avoir du plaisir avec mes amis ».
Quand le grand jour est enfin arrivé, je dois dire que leur réaction face à cette « compétition dans laquelle je suis super-poche » a largement dépassé nos attentes. En revenant le soir, j’avais épouvantablement hâte que mon homme mette le pied dans la maison pour le prendre d’assaut et lui raconter les exploits de ses enfants.
Chacun à leur manière, ils ont tiré profit de la compétition sportive pour s’accomplir autrement. Ma grande sensible est devenue accro au mouvement de support qui se crée lors des courses. Étant toujours la dernière, plusieurs élèves d’autres classes et certains adultes prennent l’initiative de l’accompagner dans les derniers miles et de l’encourager avec beaucoup de vigueur. Elle attend maintenant cette dose d’amour chaque année, se sent fière de terminer chaque fois la course avec le sourire et de redonner à son tour des encouragements à ceux qui en ont besoin.
Quant à mon garçon, il a choisi d’exploiter ce jour-là un de ses plus grands talents : celui de faire rire ! À chaque fois que mon regard se portait sur lui, il était en train de faire une singerie, au grand bonheur de ses collègues de classe. Il a apporté à son groupe une belle énergie, une ambiance positive et du coup, s’est senti valorisé, convaincu qu’il servait à quelque chose. Et pour clore le tout en beauté, lorsque son petit cousin de la maternelle est tombé pendant sa course, il s’est précipité sur la piste et l’a encouragé à se relever. Il l’a pris par la main et a terminé l’épreuve avec lui (comme en témoigne cette sublime photo de Geneviève Roger).
Il est revenu à la maison gonflé à bloc, fier à mort, en disant à quel point – lui qui ne gagne jamais rien – avait passé une formidable journée.
Fière vous dites ? Tellement fière. Émue même.
J’ai vu aussi, dans cette journée mémorable, des parents tellement axés sur la performance de leurs petits, et tellement craintifs de les voir déçus, qu’ils contestaient les décisions du personnel, voulaient reprendre les épreuves, demandaient à ce qu’on récompense leur enfant même s’il n’avait pas gagné.
La performance, c’est bien. Exploiter ses talents, c’est primordial. Mais je pense qu’on doit enseigner à nos enfants qu’ils valent bien plus que tout cela. Notre enfant n’est pas sa performance à une course. N’est pas sa note dans une dictée. Vaut bien plus que sa médaille ou que son certificat. Et c’est à nous, les parents, de les en convaincre !
Le gala Méritas de l’école est maintenant en vue. Forts de leurs apprentissages, mes deux enfants ont hâte d’y assister et cela, sans même espérer gagner quoi que ce soit. Cette fois, pas de complainte du type « je ne gagne jamais rien » en vue. Je les sens solides.
Les compétitions font émerger chez nos petits des émotions très fortes, en bien ou en mal, qui demandent une préparation que l’on ne peut pas négliger.
Parce que la vraie game, elle se joue entre les deux oreilles… Ou, parfois, dans un battement de cœur.
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Christine dit
Wow! Trop vrai. On ne pense pas toujours à préparer nos enfants pour ces situations. Je peux t’assurer que la prochaine fois j’aurai ton texte à l’esprit 🙂
Marie-Josée dit
J’ai encore été émue aux larmes. Par contre, moi, mes enfants ne gagnent jamais rien à leur école parce qu’ils ont choisi de ne récompenser que les élèves en difficulté quand ils font un effort. Je trouve cela un peu triste que les bons et fins ne soient jamais reconnus, dans leurs talents respectifs (concours de maths, dictée PGL, concours de science, art oratoire, spectacle, oeuvres d’art, etc) Il me semble qu’on peut valoriser tout le monde, non?
Alexandre dit
Mes enfants ne sont pas encore assez vieux pour vivre ces défis, mais j’ai mis cette page dans mes favoris pour la journée où mes filles ou mon p’tit homme me reviendront en larmes d’une compétition 🙂 Merci de ce beau regard sur la vie!
Annette dit
J’adore ton texte et ta manière de pensée