Y’a des journées comme ça, où on sent le besoin de mettre des choses au clair! En ce petit jour de printemps, j’ai eu envie de mettre sur la table plusieurs déclarations que j’entends fréquemment concernant ma profession et de faire les mises au point nécessaires. Mythes ou réalités?
Je précise que ceci s’applique à la réalité que je connais, soit celle des enseignants au primaire.
- Les profs donnent des devoirs pour éviter d’avoir à faire le travail en classe. MYTHE
Les devoirs, les fameux devoirs. Le cauchemar de tous les parents travailleurs (y compris les enseignants en passant, faire les devoirs de nos enfants ne nous demande pas moins d’effort et d’organisation qu’aux autres). Plusieurs croient à tort que les devoirs sont une sorte de refoulement des apprentissages qu’on n’a pas le temps de faire en classe. En vérité, ce sont plutôt des apprentissages pour lesquels le temps en classe ne suffit généralement pas parce qu’ils demandent de la répétition. D’ailleurs, si vous vous mettiez un instant le nez dans le programme du ministère et dans la description des savoirs dont nous devons faire le tour en une année, cette idée de paresse vous sortirait vite de l’esprit! Apprendre quelques mots de vocabulaire, pratiquer la lecture et les calculs ne sont que la petite mini-pointe de l’immense iceberg des apprentissages que nous faisons en classe. Seulement, ce sont des notions pour lesquelles vos enfants ont besoin de s’exercer quotidiennement, voilà pourquoi ils les rapportent à la maison.
Pour être bien honnête, il existe bien certains enseignants qui ne le sont pas… On les reconnaît facilement, ce sont ceux dont les élèves parcourent le corridor en hurlant comme des déchaînés, ceux dont on ne comprend rien aux devoirs et qui font les messages aux parents en disant à un enfant de 6 ans : Tu diras à ta mère que… Bref, être en contrôle est une qualité requise et essentielle au bon fonctionnement d’un groupe. Alors quand un invité spécial se pointe à l’improviste ou qu’une activité de dernière minute s’immisce dans l’horaire oui, il nous arrive d’être un peu rigides… C’est que le bon fonctionnement d’un groupe est si fragile, il est importante d’anticiper les choses, de les organiser un peu pour éviter les morts et les blessés (j’exagère à peine). Le problème avec le contrôle, c’est de continuer de vouloir l’exercer même une fois rendu à la maison. Mais ça, c’est une autre histoire (pauvres conjoints….)
- Les profs partent en burn-out parce qu’ils ont trop de travail. MYTHE
Du travail, il y en a bien sûr. Plus que dans d’autres professions? Pas vraiment, non (attendez chers collègues avant de me lapider). OUI, il y a du travail pour beaucoup plus que les 32 heures pour lesquelles nous sommes rémunérés, mais est-ce vraiment ce qui nous pousse à délaisser le métier? Nous fait atterrir dans les gouffres de l’épuisement professionnel? Moi je dis que non. Je dis que c’est l’IMPUISSANCE qui nous y pousse. Quand nous vivons une situation problématique avec un enfant, nos possibilités d’actions sont souvent très limitées. Parfois limitées par le budget, parfois par l’absence d’intervenants pour nous donner un coup de pouce. Quand on a fait le tour de tout ce qu’on pouvait imaginer pour gérer un élève qui perturbe la classe toute entière et qu’il nous est impossible d’avoir recourt à un psychologue, une éducatrice ou autre spécialiste, c’est là que le quotidien devient lourd. Malheureusement, nos actions sont souvent limitées par les parents aussi. Je ne le dis pas pour condamner, mais plusieurs parents ne réalisent pas à quel point leurs interventions nous mettent les bâtons dans les roues. Quand un parent conteste sans arrêt notre jugement, nos interventions et nos compétences, on devient très vite impuissant. Le déni remporte la victoire et les enseignants se mettent à dépérir…
- Le soir, les profs quittent l’école en même temps que les élèves. MYTHE ET RÉALITÉ (ça dépend s’ils aiment travailler à la maison….)
Pour faire bref, les enseignants sont payés pour un certain nombre d’heures avec les élèves (Entre 20 et 25) par semaine et un certain nombre d’heures (très minime) de travail de nature personnel (entre 5 et 10 par semaine). Celui-ci doit inclure de la planification, de la préparation de cours et de matériel, des communications avec les parents, la direction et les collègues, des réunions de comités, des réunions du personnel, des réunions d’équipe-cycle, des plans d’interventions, des rencontres avec les parents, de la formation continue et, bien sûr, des corrections et des bulletins. Puisqu’ils ne sont payés que 32 heures par semaines, les enseignants ont tout à fait le droit de quitter en même temps que les élèves (qui sont à l’école environ 35 heures par semaine) puisqu’ils deviennent presqu’automatiquement bénévoles au son de la cloche! Ceci dit, certains choisissent de faire leur bénévolat à l’école, d’autres de le faire à la maison. Mais la vérité c’est que les enseignants qui ne font pas près d’une dizaine d’heures de travail supplémentaire non-rémunéré par semaine sont rarissimes. Pour ma part, je préfère travailler le plus tard possible à l’école pour en ramener le moins possible chez moi. Je travaille donc chaque soir au minimum 1 heure qui ne me sera jamais payée.
Donc, si vous vous cognez le nez à une porte close en venant chercher votre enfant à 16h30, évitez de vous offusquer trop rapidement! Si l’enseignant y est encore, vous pouvez le féliciter pour son bénévolat…
- Le TDAH est inventé par les profs pour donner des pilules aux enfants tannants. Le plus absurde MYTHE de la terre entière!
C’est une idée populaire qui circule beaucoup et qui me pompe tellement que je ne suis même pas certaine d’avoir envie de la commenter! Je ne veux pas me fâcher. Ceci dit, je vous encourage à lire mon article sur le sujet : Du TDAH dans ma soupe ou à m’écrire en privé si vous désirez discuter de ce sujet. Mais de grâce, ARRÊTEZ DE DIRE PARTOUT DANS LES MÉDIAS QU’ON INVENTE DES MALADIES! Nous ne sommes ni docteurs, ni neurologues, ni chercheurs. Nous faisons seulement état de ce que nous constatons dans nos classes et réclamons du soutien, sous une forme ou une autre, pour aider nos élèves qui en arrachent à réussir. C’est tout.
- Les profs sont en vacances tout l’été = MYTHE ou RÉALITÉ AVEC GROSSE NUANCE.
En réalité, je suis effectivement en congé du début juillet à la fin août. Mais c’est le terme « vacances » ici qui est erroné. Des vacances, ce sont des journées de congé RÉMUNÉRÉES. Moi, l’été, je suis sans emploi. Au mieux, je suis sur le chômage. Mais une chose est sûre, à la fin de l’été, je suis reposée, heureuse et FAUCHÉE!
- Les profs ont des habiletés en communication au-dessus de la moyenne. Souvent un MYTHE.
C’est ce que je croyais aussi à mes débuts. Mais j’ai rapidement constaté que plusieurs enseignants communiquent habilement avec les petits (ce n’est pas un luxe!), mais très difficilement avec les grands! Je n’arrive pas à l’expliquer. Je me dis qu’un certain nombre d’entre nous avons probablement choisi de travailler avec les enfants parce qu’ils nous semblaient moins intimidants que les adultes. Mais bref, bon nombre d’enseignants tremblent à l’idée de devoir parler devant un groupe de parents et cafouillent de manière troublante quand vient le temps de s’adresser à des gens dont l’âge moyen est supérieur à 8 ans. Il y a aussi ceux qui oublient d’arrêter de dire « les amis » quand ils font une rencontre de parents ou qui « parlent en bébé » même dans leurs congés. Chacun a sa couleur, que voulez-vous! N’empêche qu’il serait quand même bien de viser, dans la formation des enseignants, de meilleures habiletés communicationnelles. Cela éviterait sans doute plusieurs situations fâcheuses avec les parents et entre collègues.
- Les meilleurs profs sont ceux qui ont l’air cool! MYTHE
En enseignement comme en musique, en textile ou en cinéma, il y a des modes. Des vagues qui passent. C’est temps-ci, la mode est aux classes inversées. Il y a aussi eu l’enseignement par projets, par ateliers, par intelligences multiples. La mode de l’apprentissage autonome ou de l’implication communautaire. Je vous rassure; je pense que toutes ces choses sont bonnes! Mais en petites doses… Pour moi, la stabilité, la variété et la bonne organisation pédagogique priment sur la mode. Enseigner de manière équilibrée, ou même parfois conventionnelle, ça flash moins. Ça ne fait pas la une du journal local. Mais c’est généralement très très efficace. L’important est que l’enseignant soit capable de s’adapter à ses élèves et de trouver des façons de faire qui lui ressemblent. Il ne faut pas toujours se fier aux apparences! Ni donner trop d’importance aux modes qui passent…
- Les enseignants sont susceptibles. RÉALITÉ! Souvent en tout cas…
Disons-nous les vraies affaires, il vous arrive sans doute de trouver que l’enseignant de votre enfant est à prendre avec des pincettes! C’est vrai, vous avez raison. Parfois, il tolère mal vos commentaires et vos questions. Ce que vous ignorez toutefois, c’est qu’il reçoit chaque année plusieurs charmantes lettres d’insultes souvent en réaction aux dires des élèves. (Pour mieux comprendre, voyez : Mon professeur est un monstre). Ces messages, communément appelés « lettres de mardes », peuvent à long terme faire de lui un être plus chatouilleux…
Ceci dit, il peut aussi s’agir d’un excès d’orgueil mal placé. Ça arrive.
- Les enseignants sont trop peu surveillés et supervisés dans leur pratique. Souvent une RÉALITÉ.
Je suis tellement d’accord. Je ne suis pas certaine que l’ordre professionnel soit la solution à ce problème, mais il faut que la profession soit davantage encadrée. Je le dis, bien humblement, il m’arrive d’avoir envie que quelqu’un vienne m’espionner dans ma classe et me rencontre ensuite pour me donner quelques conseils. En vérité, lorsque la porte de notre classe se referme, il n’y a plus que nous et les enfants. Bien souvent, aucun regard extérieur sur notre pratique. Et ATTENTION, par regard extérieur, je ne veux pas dire Pierre-Jean-Jacques qui passe par là, qui n’y connaît rien, mais qui a son mot à dire! Il faudrait des enseignants chevronnés qui occuperaient des postes de « coaching » dans les écoles. Plus de conseillers pédagogiques et de responsables de ressources humaines directement sur le terrain. Pas à l’autre bout du monde dans les bureaux de la commission scolaire. Pour l’avoir vécu étant enfant, quand un enseignant n’est pas à sa place, qu’il fait plus de mal que de bien, il FAUT que l’on puisse faire quelque chose. Avec le syndicat et le manque d’encadrement actuel, il arrive très probablement que des gens exercent cette belle profession pendant de nombreuses années sans y être à leur place. Ce qui n’aide en rien à bâtir cette confiance qui fait cruellement défaut entre les parents et les enseignants.
- Les profs ont besoin de la collaboration des parents. MÉGA-RÉALITÉ!
Plus que vous ne pouvez l’imaginer! Ce sont VOS enfants, vous aimez bien nous le rappeler parfois. Nous les côtoyons 25 heures par semaine. Quand on fait bien notre travail, ils deviennent aussi un peu « les nôtres ». Parce que l’amour s’installe, sans même qu’on ne l’ait vu venir. Alors peu importe nos différends et les suspicions qui planent parfois de part et d’autre, nous avons en commun cette affection pour un même enfant. Dans ces circonstances, faire équipe est TOUJOURS la meilleure option. Même si cela implique de faire quelques compromis (et ce, des deux côtés), d’accorder notre confiance, ou de soutenir à l’occasion des décisions sans les comprendre, l’effet positif en vaudra toujours la peine.
J’ai en tête des tonnes de parents avec qui « faire équipe » fut un pur bonheur…
Je termine donc en vous encourageant, parents ET enseignants, à faire tout en votre pouvoir pour cultiver entre vous le respect et la bonne attente.
Parce qu’un jour ou l’autre, et ce n’est pas un mythe, les petits vous en remercieront!
Vous avez d’autres affirmations à démystifier? Laissez-vous aller dans les commentaires!
À lire aussi:
Enseigner dans le beurre, par Tania Longpré, journal de Montréal
10 choses que j’aime de mon métier
Marie-Claude dit
Chère Julie,
je suis en ce moment à la maison, en train d’essayer de me détendre afin de reprendre le boulot demain. Et oui, même en étant une maman seule pour élever ma fille, je me permets quand même de prendre 10% de congé sans solde afin de réussir à passer au travers mes semaines trop chargées.
Je viens donc de terminer ton livre que j’ai dévoré. J’ai vécu avec toi ton année scolaire, tellement que ces beaux enfants dont tu parles sont un peu devenus les miens. Jamais je n’ai lu une réalité aussi juste de mon métier que je pratique avec passion depuis 26 ans.
Enseigner, c’est beaucoup plus que tout ce qu’on peut penser.
Merci beaucoup pour ce bel écrit qui a comblé mon coeur d’enseignante.
Bon été à toi et à ta famille, Marie-Claude
Julie dit
Merci Marie-Claude ! Et pour être honnête, je prends aussi un 10% sans solde… pour écrire des livres ! Ça fait tellement du bien. Bon été à toi aussi !
Martine Bélanger-Godbout dit
J’enseigne au secondaire et tous ces mythes et réalités sont vraies. J’avais même le goût de sortir un livre : »Tout ce qu’on vous reprochera sans jamais ne vous en avoir informé avant. »
julie breton dit
Je suis d’accord avec la plupart des points.
Sauf pour les 3, 6 et 10.
3. J’ajouterais aussi ces causes à celle que tu as déjà mentionnée:
Je connais peu de professions où les gens ramènent autant de travail à la maison ou restent autant d’heures après leur travail pour faire du bénévolat.
Aussi, les tâches administratives qu’on nous demande de plus en plus avec les années grignotent le temps qu’on devrait normalement mettre sur notre TNP, ce qui fait qu’on doit trouver d’autre temps pour faire ce vrai TNP.
Autre cause de l’épuisement, plusieurs enseignants ont le don de soi développé et ont de la difficulté à mettre des limites pour respecter leurs besoins.
6. Nos vacances commencent bien souvent par quelques semaines de convalescence. Répondre aux besoins d’une classe d’enfants pendant 10 mois en plus de leur enseigner des contenus académiques et ce souvent avec manque de soutien pour les enfants en difficulté, ça fait qu’on finit souvent l’année sur les rotules.
10. Enseignants trop peu surveillés, dis-tu, ce n’est pas le cas de tous. Au même titre qu’il y a des enseignants trop contrôlants ou pas assez encadrants, il y va de même avec les directions d’école. Chez nous, nous avons 2 rencontres de supervisions pédagogiques par année à laquelle notre direction supervise rigoureusement notre travail et notre façon de faire. Elle nous donne à chaque fois des défis sur lesquels nous aurons des comptes rendre et cela même si elle n’a rien à nous reprocher en particulier. Elle doit nous donner deux défis à chaque année, c’est ainsi.
Nous avons aussi 2 autres rencontres avec la direction et autres professionnels où on fait le portrait des apprentissages de nos élèves dans le but de trouver des moyens pour les aider, et en même temps, notre pratique est examinée. Alors, ça m’achale de voir que tu écris publiquement que les enseignants manquent de supervision. À mon avis, je trouve que c’est seulement quelques éléments qui auraient besoin d’un encadrement plus pointu.
Cela fait 30 ans que j’enseigne, je trouve que l’image des enseignants est déjà assez malmenée comme ça, il faudrait pas en ajouter en disant que plusieurs font mal leur job. Oui certains ne sont pas à leurs places, mais plusieurs ont le feu sacré pour leur profession.
Julie dit
Merci Julie pour les précisions! Et pour ce qui est du suivi des enseignants, je dis WOW! à ce qui est fait dans votre école! Ce serait formidable que ce soit comme ça partout. Je sais que la profession souffre d’une mauvaise presse, mon idée n’est absolument pas d’en rajouter, mais par soucis de transparence, j’ai voulu dire les choses telles que je les vois vraiment, dans une perspective constructive.
Sylvie Lessard dit
Tout à fait d’accord avec ce commentaire, sur toute la ligne ! Cela décrit exactement la réalité dans mon milieu! Quand pourrons-nous retourner à nous occuper de NOTRE enseignement! C’est maintenant la dernière tâche bien souvent à pouvoir faire après toutes les autres…tous les comptes à rendre! Je ne me sens plus traitée comme une professionnelle, mais une exécutante de tâches, beaucoup trop souvent administratives, qui selon moi paraissent être là pour justifier les emplois des dirigeants….quand va-t-on revenir à l’essentiel….l’enseignement?!!
rachel dit
Julie, le numéro 10 de ta liste…..je croyais être la seule au monde en milieu scolaire qui souhaiterais avoir plus de supervision et d’encadrement dans mon travail. Oui, moi aussi j’en ai vu beaucoup de gens travailler dans les écoles primaires qui m’ont fait poser la fameuse question : « mais qu’est-ce qu’il (elle) fait dans ce domaine? Anyway, on devrait peut-être se partir une manifestation pour le réclamer?!