– T’ES MÉCHANTE MAMAN!
Mon fils l’a hurlé, du haut de ses six ans. Et ce n’est pas la première fois que ces mots jaillissent de sa bouche. Je ne m’y habitue pas. Ce ne sont pas des mots que je peux accepter.
Je m’efforce de ne pas me laisser blesser parce que celui qui hurle, ce n’est pas vraiment lui, c’est cette vilaine colère qui prend parfois le contrôle.
Tout a commencé par une demande très simple. Ma foi, fort légitime:
– Garçon, aide ton frère à ranger .
Devant son refus, j’ai dû sévir un peu. Surtout qu’il est vraiment le King du rangement quand il s’y met! Seulement la bonne volonté n’était pas au rendez-vous… Il s’est emporté rapidement, et les choses se sont terminées comme elles se terminent souvent .
– Va dans ta chambre, tu en sortiras quand tu seras prêt à ranger!
Et c’est là, comme un dernier assaut, qu’il m’a dit ces mots durs avant de refermer sa porte en n’oubliant pas d’arracher la moitié du cadre de porte au passage.
Ce n’est pas toujours rose chez nous. Je suis enseignante, je pourrais tenter de vous faire croire que je maîtrise parfaitement mes propres enfants! Ce n’est pas le cas.
Mais suis-je pour autant une « méchante maman »?
Pour dire vrai, je me demande même si ça existe une méchante maman. Dans mes nombreuses années à côtoyer les petits, j’ai effectivement connu des mamans qui faisaient à leur enfant plus de mal que de bien.
Mais jamais par méchanceté. Par souffrance. Par dépendance. Par aliénation mentale. Pas par méchanceté.
En fait, j’ai cru comprendre que plusieurs mamans ne peuvent tout simplement pas donner à leurs enfants ce qu’elles n’ont jamais reçu.
J’ai eu un jour dans ma classe une petite fille, méfiante et sauvage, fermée comme une huître. Quand, après plusieurs mois à l’amadouer, elle a ouvert un peu sa coquille, elle m’a raconté une promesse brisée. Sa mère, dépendante des drogues, qui avait dû la placer dans une famille où elle avait été malmenée. Une fois revenue de désintox, la maman avait repris sa fille avec elle en lui faisant une promesse :
– Plus jamais! lui avait-elle juré. Maintenant, tu seras avec moi pour toujours.
Moins d’un an plus tard, elle avait déjà manqué à sa parole. La petite fille n’arrivait pas à lui pardonner son mensonge et se grugeait elle-même de l’intérieur à force d’amertume.
J’ai vu aussi des mamans malades. Malades dans leurs émotions ou dans leur tête, s’accrocher à leurs petits, incapables de les laisser partir alors qu’il l’aurait fallu. Il aurait fallu qu’elles admettent qu’elles ne pouvaient pas s’en occuper. Elles n’ont pas pu le faire. Étaient-elles méchante pour autant?
Je préfère croire qu’elles n’avaient juste pas en main les outils dont elles avaient besoin.
Moi, j’ai beaucoup reçu. Un foyer aimant et stable. Une maman douce. Douce jusque dans sa voix. Douce jusque dans sa patience. Et pourtant, quand j’y pense, j’arrive aussi à lui trouver des failles : ma mère n’était pas parfaite. (Désolée maman pour cette révélation publique. Tu le sais que je t’aime?) Elle n’avait pas besoin de l’être. Et si je peux lui trouver des lacunes, à cette mère si douce, croyez-moi j’en trouverai à n’importe qui! (Tu vois, c’est quand même gentil ça!)
J’ai beaucoup reçu. Je devrais donc être en mesure de donner beaucoup, non?
Je n’ai pas d’excuse pour l’imperfection. J’ai tout en main, tout ce qu’il me faut au niveau affectif et un BAC en éducation, juste pour en ajouter un peu.
Et pourtant, je suis loin d’être parfaite.
Que diront mes enfants plus tard, quand ils se réuniront sans nous, leurs parents, et se rappelleront leur enfance? J’aimerais croire qu’ils se rappelleront tous les câlins que je leur faisais, l’attention que je portais à leurs émotions, les mots que je les aidais à trouver pour mieux se comprendre.
J’espère qu’ils se rappelleront les marches qu’on prenait ensemble, les virées au parc et les petites pauses qu’on prenait pour se raconter nos vies.
Mais je sais bien qu’il est fort possible qu’ils se souviennent aussi de combien j’étais fatiguée en revenant du travail. Que je leur demandais de ne plus dire un mot pendant que je faisais le souper. Comment je pétais parfois les plombs pour une peccadille…
Ce qui est beau avec les enfants, c’est le nombre de chances qu’ils sont prêts à nous donner. Ils continuent de croire en nous, de nous idéaliser, même quand on a cessé de croire en nous-mêmes.
Être maman, ce n’est pas quelque chose qu’on peut se permettre de rater. Ce n’est pas un emploi qu’on peut décider de quitter ou un projet de vacances que l’on peut mettre de côté. Ce n’est pas quelque chose que l’on fait à peu près, sans se questionner.
C’est trop important. Et j’ai envie de croire, sincèrement, qu’il n’est jamais trop tard.
À toutes les mères qui, à l’approche de cette fête qui porte leur nom, se sentent misérables. À celles qui se disent ne pas mériter les petites attentions, n’être pas la maman qu’elles auraient voulu être, j’ai envie de vous dire qu’il n’est pas trop tard.
Est-ce qu’on peut donner à nos petits ce qu’on n’a jamais reçu? Je pense que, quand il est question de maternité, les miracles sont possibles. Je pense qu’on peut se retrousser les manches et donner beaucoup plus que ce qu’on a nous-mêmes reçu.
En laissant de côté l’amertume, en pardonnant, en s’entourant bien et en soignant au mieux nos propres souffrances.
Pas besoin d’être parfaite. Même ma douce maman ne l’a pas été! Pas plus que moi, mon BAC et mon petit bonheur ne le sommes.
Il faut juste s’assurer de ne jamais les laisser tomber. Et si on l’a fait, il faut les rattraper au passage et croire avec eux qu’il n’est jamais trop tard.
Une jour, cette petite fille, celle qui m’était arrivée sauvage et renfermée, est complètement sortie de sa coquille. Ce jour-là, nous parlions en classe du pardon. De combien il est parfois difficile, mais nécessaire de pardonner. Elle a levé sa main et s’est mise à raconter comment sa mère l’avait laissée tomber. Combien elle lui en voulait. Elle parlait sans s’arrêter, elle habituellement si recluse, elle criait sa souffrance, debout, des larmes sur ses joues. Elle s’est ensuite calmée, elle a repris sa place. Puis elle nous a dit, déterminée, qu’elle allait essayer de lui pardonner. .. Dans les semaines qui ont suivi, elle s’est métamorphosée. Je l’ai appelé « mon petit papillon », parce qu’elle était complètement sortie de son cocon. Pour la première fois, nous avons découvert son sourire. Elle s’est mise à apprendre, elle s’est mise à lire.
Il n’est jamais trop tard. Comme plusieurs autres enfants, elle était prête à donner à sa mère une autre chance.
C’est à toi, mère si imparfaite, que j’ai envie d’offrir mes souhaits aujourd’hui. À toi qui recevras sans doute aussi une autre chance. Pour t’encourager à ne pas baisser les bras. Pour te dire combien tu es importante.
Imparfaite. Mais importante.
C’est à toi que je souhaite, du plus profond de mon cœur, une heureuse et inspirante fête des mères.À voir aussi:
Hommage à vous, les parents, par Caroline Charpentier
Maryse dit
Ouff que de paroles vraies, simples mais tellement édifiantes . Tout un hommage en or pour des mères imparfaites mais en or pour leurs enfants .. Y’a toujours de l’espoir pour réparer les pots cassés du passé . Merci Julie pour tout ce travail d’écriture assidu qui ne fait que du bien à tous qui prennent le temps de le lire
MamanEscargot dit
Ouf que c’est émouvant cette histoire!
J’aimerais dire une chose concernant la phrase de ton fils.
Je voudrais te dire bravo! Ça veut dire que tu fais très bien ton rôle de maman. Ton fils apprend a gérer progressivement la frustration. C’est un apprentissage important et un très beau cadeau que tu lui fais dans sa vie que de ne pas le laisser faire tout ce qu’il veut, de poser des limites et de lui permettre d’aller se calmer. Alors, ne t’en sens pas blesser et prend son » tes méchantes » pour un remerciement pour sa vie futur 😉
Stacy dit
Ouf… tu es percutante toi ce matin! Merci beaucoup pour tes bons mots encore une fois! Comme j’aime te lire! On a l’impression de vivre ce que tu écris… du moins, moi je le vis! Merci de nous rappeler que d’être imparfaite n’est pas un défaut, mais que de vouloir faire mieux pour le bien de nos petits parfois pas évidents est le chemin qu’il faut prendre pour qu’ils finissent pas s’envoler comme des papillons un jour avec leur sac d’outils, prêts à affronter ce monde.
Tu es une belle maman toi aussi, une excellente enseignante qui est appréciée de beaucoup de gens. Continue ton beau travail avec tes enfants, mais aussi avec les nôtres. Dans leurs ailes de papillons qui leur poussera un jour, il y aura un peu de toi!
Bonne Fête des Mères à toi aussi!
Bisou
Stacy xxx
Julie dit
« Dans leurs ailes de papillons qui leur poussera un jour, il y aura un peu de toi! »
Merci Stacy, je garde cette phrase là précieusement!