Je sais quand ils arrivent. Je le sais parce que la première cloche me l’a annoncé. Je le sais aussi parce que je le sens… La fébrilité qui plane dans le couloir. Le bruit lointain de leur chaos. La brise qui s’infiltre dans le corridor.
Chaque matin, je me plante là, dans le portail de ma classe. Chaque fois avec des émotions différentes, mais toujours avec le même visage. Un sourire s’installe, dans les bons et dans les mauvais jours. C’est mon travail de les accueillir avec le sourire. C’est aussi la clé du succès pour qu’ils aient envie d’entrer et d’apprendre.
Certains jours, leur arrivée imminente me rend nerveuse. Aux premiers jours entre autres, quand nous nous connaissons à peine. Je sens alors mon estomac se serrer à l’idée de leur approche. Je me demande ce que me réservera ma journée avec eux. Y aura-t-il des cris, des larmes, des blessures ? Est-ce que j’aurai les bons réflexes, les bonnes idées ? Une nervosité qui me quitte rapidement quand ils parviennent jusqu’à moi. Dès que j’entre en service, je n’ai plus le luxe de m’inquiéter.
D’autres jours, leur arrivée me rend heureuse. Profondément heureuse. Les jours où je suis bien préparée. Où mes activités sont prêtes et bien montées. Les jours ensoleillés, quand je sais qu’ils pourront profiter des récréations. Parfois, juste comme ça, leur apparition me rend joyeuse. J’ai envie de caresser chaque chevelure, de leur demander à l’oreille comment était leur déjeuner, où ils ont acheté leur superbe foulard… Ces jours-là, j’accueille les petits bras qui m’enlacent et je me dis en douce qu’aucun autre métier ne me rendrait plus heureuse. Dans quelle autre profession commence-t-on inévitablement la journée par des caresses et des sourires ? Immanquablement et peu importe l’ampleur de mes cernes, leurs yeux me disent qu’ils sont heureux de me voir. Parfois tellement heureux, qu’ils franchissent les derniers mètres qui nous séparent au pas de course, comme si on se retrouvait après des années d’absence. Oubliant que l’on s’est quittés il y a quelques heures à peine.
Parfois, lorsqu’ils arrivent, je me demande comment j’y arriverai. Quand un de mes enfants m’inquiète, quand la journée avec mon amoureux est partie du mauvais pied. Quand les frustrations s’accumulent depuis plusieurs jours et que le manque de temps et de ressource alourdit ma tâche. Quand quelqu’un que j’aime est malade ou en danger… Je me demande alors comment je ferai pour affiche un sourire et commencer la journée. Comment je répondrai à leurs milles demandes et répéterai avec patience cent fois les mêmes choses. Et pourtant, dès qu’ils sont là, les réflexes reprennent. Le sourire s’installe. Les mots sortent de ma bouche et la journée s’enclenche sans même ma permission.
Parfois, le simple bruit de leur arrivée suffit à m’irriter. J’ai déjà envie de leur demander de se taire et de se dépêcher. Dans les mauvais matins, ceux où les hormones se font aller, les matins de fatigue qui suivent les nuits où le sommeil ne s’est pas pointé, je me demande où je trouverai la patience de décoincer les zipper et de régler les chicanes.
Parfois j’ai peur. Peur de m’emporter, de ne pas trouver les bons mots. Peur de ne rien voir.
D’autres fois, quand ils arrivent, je me rends compte qu’ils m’ont manqué. Après les longs congés. Quand je les ai prêtés à quelqu’un qui m’a remplacée. Je me surprends alors à les aimer… À les admirer.
Chaque matin est différent et chaque matin est pareil. Quand ils arrivent, je disparais et tout se met à tourner autour d’eux. Chaque fois je reçois leur arrivée comme un shoot de caféine, comme un fix d’adrénaline. Une énergie se dégage de leurs petits êtres et s’insuffle dans mon corps.
Chaque fois qu’ils arrivent, c’est comme un miracle. Quelque chose qui s’active en moi et qui me porte toute la journée. La magie de la première cloche qui retentit.
C’est comme ça, chaque fois qu’ils arrivent.
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Patricia dit
C’est tellement notre réalité! Merci pour ces beaux textes!
Sylvie dit
Toujours aussi bien écrit! C’est si agréable et inspirant de te lire. Je partage souvent tes textes avec ceux qui en ont besoin! Merci!
Julie dit
Merci Sylvie, je suis heureuse de lire ton message !
julie breton dit
Bravo pour ce magnifique texte !
Je suis en congé-maladie depuis 2 ans. J’apprécie ce temps de repos qui m’est donné, mais le contact des enfants me manquent énormément, pour tous ces petits plaisirs quotidiens que vous décrivez si bien …
Notre profession est exigeante, mais aussi tellement passionnante !!!
Julie dit
Oui, c’est ce qui rend cette profession si spéciale ! Elle demande beaucoup mais apporte aussi tellement… Bon rétablissement à toi !