Quand t’es pas là, la vie n’en fait pas tout un plat. Le lave-vaisselle poursuit son cycle bruyant. Les draps continuent de sécher sur la corde. Les enfants abusent de ces mêmes jeux, tissés dans les tréfonds de leur imaginaire fécond. La télévision renvoie cette même image et le rouge gorge qui habite la haie, dans la cour arrière, chante de cette même manière.
C’est bizarre, cette vie qui fait semblant que tout est normal.
Parce qu’en vrai, il y a mon cœur qui bat un quart de seconde moins vite que d’habitude.
Il y a ce vide dans l’air que ta voix a l’habitude de remplir. Il y a ce trou dans mon lit. Ce banal creux qu’a formé ton corps avec le temps. Un creux qui me fout la trouille.
Y’a cette trouille de surface, celle qui me dit que personne ne serait là pour empoigner le bat de baseball si un intrus osait s’aventurer chez nous la nuit. Une petite trouille à l’idée qu’une catastrophe m’arrive et que je ne puisse compter que sur moi-même.
Ce même genre de trouille qui m’a prise quand notre garçon m’a annoncé que deux grosses guêpes venaient d’entrer dans la maison…. C’est toi d’habitude, le chasseur d’insectes ! J’ai fait de moi un « homme », j’ai revêtu la douillette du salon en guise de protection et me suis armée de ma puissante tapette à mouches pour partir à la chasse et défendre ma famille contre le danger !
Je n’avais pas le tiers de ton courage. Pas le quart de ta prestance. Je balayais l’air de mon arme de caoutchouc en faisant retentir de petits cris aigus.
Il y a la trouille d’avoir à gérer toute seule un tuyau qui se mettrait à fuir, un fusible électrique qui aurait le malheur de sauter ou un disque dur qui déciderait de surchauffer !
Dans ma grande débrouillardise et mon amour des travaux manuel, j’ai déjà senti que je me surpassais en faisant rouler la grosse poubelle verte jusqu’au bord de la rue. Fière et « virile », en feignant une assurance qui n’existait pas.
Il ne faudrait pas m’en demander beaucoup plus…
Mais au-delà de ces petites trouilles qui, on s’entend, sont loin d’être insurmontables, ce trou dans mon lit évoque une peur beaucoup plus profonde.
Cette idée que le trou pourrait ne plus jamais se remplir. Cette vague conscience de ne rien contrôler. Cette pensée fugace qui me titille l’angoisse.
Et si un jour tu n’étais plus là. Plus du tout?
J’imagine que je deviendrais une grande chasseuse de bestioles venimeuse, une experte de la tondeuse, une excellente ramasseuse de vomis… Peut-être même que j’apprendrais à taper sur un clou et à poser des cadres qui seraient presqu’au niveau ! À remplacer un fusible, à faire un changement d’huile.
En situation de survie, j’imagine que ça me viendrait.
Mais je sais bien que jamais, jamais je ne pourrais remplir le vide qui s’installerait dans nos vies.
Le vide dans la balançoire le vendredi soir, avec ton verre de vin que personne ne boirait. Le ballon de foot de mon grand qui se perdrait dans les arbres, avec personne pour l’attraper. Mon petit qui n’aurait plus d’épaules pour y grimper et clamer haut et fort qu’il est « devenu un adulte ». Les blagues de ma fille qui ne trouveraient plus écho nulle part, ses sarcasmes qui reviendraient à elle sans avoir fait réagir.
Le vide du salon où tu danses comme un fou. Le vide dans la voiture. Le vide dans la cuisine. Le vide dans l’air et dans l’eau. Le vide dans l’âme et dans le corps.
Tu reviens demain. Tu reviens remplir ce creux qui t’attend.
Tu reviens faire battre à nouveau mon cœur de sa cadence normale.
Faire taire la trouille qui m’a tenue éveillée.
Tu reviens danser dans mon salon, chanter sur mon balcon.
Tu reviens m’astiner dans la voiture, me coller sur la balançoire.
Je te dirai peut-être que la vie ne s’est pas arrêtée. Que tout était comme d’habitude.
Et toi, le vide bien rempli, tu entendras mon cœur battre comme avant. Tu repousseras tes draps et t’enfouiras dans ton trou. Tu reprendras cette place qui est la tienne sans savoir vraiment combien j’ai eu la trouille…
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DC dit
C’est triste tous ces scénarios négatifs imaginaires que vous vous faites. Comme vous écriviez si bien :
« Mais la vérité, c’est que même quand on prend soin de notre vie, on ne peut pas prévoir ce qu’elle nous réserve et quand elle nous lâchera! Que fait-on alors? On vit dans la terreur? On craint le lendemain? On anticipe le pire? Certainement pas. »
Cordialement,
Ma tante Helen dit
Toujours aussi rafraîchissante et divertissante tes écrits Julie!!
Je ne me tanne pas de te lire!,
Arrête pas oui oui continue!!,
Amuses toi pour me faire plaisir!!
J’aime vraiment Bcp tout ce que tu dis!!!
Je me vois aussi en toi!!
Traverser les tempêtes et oui tenir le fort!!
Je t’aime belle Julie….OOO
Julie dit
C’est tout à fait réciproque « tante » Helen. XXX