Quand j’ai commencé à enseigner, il y a 10 ans, il était clair pour moi que je me consacrerais à ce métier jusqu’à ma retraite. En cours de route, j’ai vu plusieurs collègues changer de chemin, se réorienter, faire autre chose. Ou ne plus rien vouloir faire. Bien qu’un peu attristée, je me suis dit « Très bien, quand on ne s’y sent pas bien, mieux vaut faire autre chose! ».
Mais voilà que, vendredi dernier, une amie de longue date a ressorti la « question-qui-tue » des boules à mite: Toi Julie, penses-tu faire ça toute ta vie? J’ai été surprise de m’entendre lui répondre avec, dans la voix, une hésitation qui n’y était pas quelques années plus tôt.
– J’aimerais… J’espère… Je souhaite….
Que faire devant ce doute qui commençait à poindre?! Je suis une fille d’action, il me fallait un plan! Est donc né mon petit guide de survie qui me permettra, si Dieu le veut, d’être enseignante au primaire…. Jusqu’à la retraite et plus loin encore!
Bien sûr, on ne peut pas choisir toutes les batailles. On ne doit pas prendre sur nos épaules ce qui ne nous
appartient pas. Lorsqu’un parent nous écrit pour nous dire que Roger a perdu sa tuque préférée, on peut l’aider à la chercher. Mais si les recherches sont infructueuses, on doit pouvoir s’en laver les mains! Ce n’est pas une bataille prioritaire. Idem avec cet enfant qui mange des FrootLoops à la collation ou qui a les ongles les plus noirs qu’on a jamais vus…. Celui dont les pantalons sont percés depuis 3 mois, celui qui n’a jamais son matériel ou dont les parents ne se présentent pas aux rencontres. Permettons-nous de lâcher-prise sur le bulletin qui ne rien dit, sur les évaluations plus ou moins significatives et sur les nombreux papiers-crayons-effaces-et-autres-cossins éparpillés sur le sol à la fin de la journée….
2. Se lever 10 minutes plus tôt.
Meeeee, vraiment? Oui, tellement! J’ai finalement mis cette belle résolution (que je traîne depuis des lunes) en pratique depuis quelques semaines, et l’effet sur le stress est immédiat! Le secret, c’est le droit à l’erreur. Avec 10 minutes de plus, mes cheveux ont le droit d’être difficiles à coiffer. Mon bébé a le droit de faire caca 3 secondes avant de partir. Je peux me permettre quelques lumières rouges ou, à la limite, un petit vomi de dernière minute! Le droit à l’erreur, le matin, c’est un incontournable pour partir la journée du bon pied!
3. Avoir des soirées « vidanges de cœur » (le crédit pour l’expression »vidange de coeur » revient à mon bien-aimé beau-frère)
Des petites soirées où on se permet d’étaler nos angoisses et nos doutes concernant nos élèves. Professionnalisme oblige, on partage bien rarement ce qui nous turlupine vraiment. Avoir des gens de confiance, qui ont aussi choisi d’aimer, pour « sortir le motton » sans se compromettre, c’est vraiment salutaire!
4. Ne jamais laisser un enfant être le seul à raconter un évènement « marquant » à ses parents.
Un enfant s’est blessé? A été sévèrement repris? A fait une bêtise inimaginable (genre accrocher son collègue sur un crochet au vestiaire et lui baisser les pantalons…)? A lui-même saboté ses crayons en les décomposant et les dégustant lentement? JE DOIS ÊTRE LA PREMIÈRE PERSONNE QUI LE RACONTE AUX PARENTS!!! Sans quoi, mon expérience me dit que mon petit Roger saura trouver une version à son avantage qui, immanquablement, retournera les parents contre moi! Dans son histoire, j’aurai laissé ses copains le tabasser sans rien dire, je lui aurai interdit de manger et de respirer, je l’aurai puni alors qu’il ne voulait qu’aider et je lui aurai moi-même demandé de déchiqueter ses crayons… C’est un incontournable! Et une majorité de parents accorderont une crédibilité absolue à leur petit trésor plein de créativité.
Ok, je vous le concède, c’est assez « basique » et ça s’applique à de nombreuses professions. Mais encore à ce jour, c’est un art que très peu d’enseignants maîtrisent. Devant les demandes des parents, de la direction, des collègues, notre tête crie « Non! » et on s’entend dire « Oui, bien sûr, pas de problème « .
6. Ne pas se mettre à croire que tous les enfants sont en danger.
Les situations d’abus, de négligence, d’atteintes psychologiques et physiques envers les enfants sont toujours très difficiles à vivre quand on aime…. On a tendance à accumuler des frustrations et même, parfois, un peu de désespoir. Moi qui n’ai jamais rien refoulé (ou presque), j’ai appris à le faire en côtoyant trop souvent des enfants au quotidien insoutenable. Et puis, mes sentiments refoulés ont déformé ma perception des choses : j’ai eu l’impression que tous les enfants étaient en danger! Imaginez l’angoisse et l’urgence d’agir. Puis, je suis revenue sur terre (quelques collègues aidant) et je me suis rappelé que la majorité des enfants sont bien. Ont de bonnes familles aimantes. Que la plupart d’entre eux sont bien traités. On ne peut pas vivre continuellement à l’affût du malheur.
7. Pratiquer le « ici et maintenant ».
Parfois, dans le feu de l’action, on part en guerre. On veut que la DPJ intervienne dans une famille, que des services soient offerts pour un enfant à besoins particuliers, que les parents aident leurs enfants à abaisser le niveau de stress, qu’une médication soit prise lorsque c’est nécessaire. Quand rien ne bouge, on se sent impuissant. Mais il nous reste encore le « ici et maintenant » sur lequel nous avons réellement un pouvoir. Ici et maintenant, JE suis la personne qui prend soin de cet enfant. Je suis la personne qui peut lui permettre de progresser, avancer, s’épanouir. Ou juste de vivre un beau moment valorisant.
On voudrait souvent changer le monde, changer l’école, changer le système. Vaut mieux se consacrer à changer une vie, un moment à la fois.
8. Ne jamais sous-estimer les enfants!
Le principal moteur de l’apprentissage, c’est la confiance. La confiance en l’autre et la confiance en soi. Je peux faire toutes les danses que je veux, passer des heures en récupération et en rencontres, expliquer, ré-expliquer, mimer, dessiner, en faire un montage vidéo, une mise en situation ou un projet de grande qualité, sans grand résultat. Le miracle ne viendra pas de moi. Ils viendra d’eux. Quand ils auront compris de quoi ils sont capables. Quand ils auront assez confiance en moi et en eux pour se lancer, même si cela implique des erreurs et du travail. Ils ne sont pas des marionnettes que l’on contrôle…. Et c’est très bien comme ça!
9. Se permettre des « périodes-bonbons… ».
Des activités sans aucun but pédagogique!!! Des parties de plaisir pures et dures. Un karaoké, une danse improvisée, un défilé de pyjamas, un concours de glissade. Pourquoi? Parce qu’enseigner, c’est d’abord bâtir une relation. Et une relation harmonieuse requiert des moments de pur plaisir, sans attente et sans objectif précis. Pas trop souvent, bien sûr, juste une petite dose par-ci, par-là pour se rappeler qu’on est d’abord des êtres humains.
10. Faire de nos collègues des alliés.
On le fait tous…. Regarder du coin de l’œil l’enseignant de la classe d’à côté et se permettre d’analyser son travail. La plupart du temps, c’est pour se dire qu’« il l’a tellement »! Lui envier ses bonnes idées de projets ou sa manière de gérer les situations. D’autres fois, à l’inverse, on s’amuse à s’auto-glorifier intérieurement « …. Moi mes élèves ci, moi mes élèves ça…. »
Est-ce là un travail d’équipe? Se plaindre et se glorifier, tour à tour? De nature assez indépendante, je commence à goûter au bonheur partagé de profiter des forces de chacun. De compenser nos faiblesses en s’appuyant et en se conseillant. Mes collègues extraordinaires des dernières années m’inspirent beaucoup. Ils sont les mieux placés pour partager avec moi les joies et les défis du métier. J’ai tout intérêt à prendre soin d’eux comme ils prennent soin de moi…
Pour le moment, je peine encore à appliquer à temps plein tout mon beau plan de survie. Mais je le trouve beau. Et au moins, maintenant, j’ai un plan!!!
Je compte aussi prendre des omégas-3, aller au spa souvent, lire des blogues de profs, conserver les mots gentils, jeter rapidement ceux qui m’ont démolie…
La liste est longue je crois, mais j’ai envie de croire que j’ai des chances de survivre! Mieux encore, que j’ai des chances de VIVRE pleinement mon métier pour longtemps encore.
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10 choses que j’aime de mon métier
Stefy dit
Excellent!
Je veux bien être informée de la suite.
Merci.
"25 ans minimum" dit
J’adore…
Moi, j’ai décidé de finir FORT mes 12 prochaines années d’enseignement au secondaire. Merci pour le « boost ». Je les prends tous!
« On est faits fort » mais faut toujours ben s’aider itou…
Tak dit
en tous cas, moi je prend note d’être fine avec les profs de Mila-Lou … et je continuerai de te poser des questions qui tue pour t’aider à faire des bonnes listes comme celle-là 😉
Julie dit
Ha! Ha! Tu t’es reconnue! Tu m’avertis lorsque tu sais si c’est une Mila ou un Lou, hein! XXX
Brigitte dit
J’aimerais recevoir les nouveaux articles.
Julie dit
Bonjour Brigitte, je vous ai inscrit pour que vous receviez les articles dans vos courriels. Vous devriez recevoir un courriel de confirmation. Sinon, vous pouvez également me suivre sur facebook…
Merci de votre intérêt!!!
Valérie dit
Bravo pour ce guide !!! Je m’y retrouve si bien. Et moi aussi j’espère faire ce métier le plus longtemps possible ( déjà 24 ans passés en maternelle !)
Bon pour les 10 minutes plus tôt le matin ce n’est pas gagné !!
Bonne journée
Okap dit
J’ai lu attentivement les » 10 bons conseils » de votre petit guide de survie de l’enseignant et je les ai trouvés magnifiques. À travers cette lecture, je me voyais comme un acteur principal d’une Télé Réalité qu’on vit presqu’à tous les jours. Être enseignant; c’est dans la peau et dans le cœur. On a trop souvent tendance à se culpabiliser quand ça ne roule pas comme on veut, quand un ou deux parents ne nous lâchent pas et nous jugent constamment et j’en passe. Bref, comme vous le dites: il faut faire confiance à certains collègues et bien sûr appliquer les 10 règles de survie. Bonne continuation chère »collègue »!
Julie dit
Merci Okap. En effet, c’est dans la peau ET le coeur….
Guylaine Berthelot dit
Très bon guide de survie! Je garde aussi précieusement les cartes très valorisantes des parents reconnaissant de notre travail. Je les relis dans les moments de déprime…c’est fous comme ça «relativise» la chose!!!!
Jean-François Laferté dit
Bonjour,
Après 30 ans d’enseignement,je me fais nommer « m. Temps libres » pcq je donne l’occasion de décrocher à mes élèves au cours d’une journée:si je le fais pourquoi pas eux?
JF
Mélissa dit
Alors là, j’adore! Moi aussi je veux avoir du plaisir et j’aime les périodes « bonbons »! Dur de motiver nos troupes quand on n’a pas de plaisir! Et arrêtons de culpabiliser parce que nous ne sommes pas parfaites. Nous sommes humaines, tout simplement! Merci pour cette belle bouffée de fraîcheur et longue vie à notre carrière enseignante!!!
Mia M dit
Je suis tout à fait d’accord avec ta liste. Il manque un point important : sur la nécessité de manger du chocolat 😉
Julie dit
Ha! Ha! Bien sûr Mia (quel joli prénom….le même que ma fille!), le chocolat est un incontournable!
maman toute croche dit
Je fais du bénévolat à l’école de mes filles parfois, c’est assez pour savoir que c’est toute une vocation, ça serait une suggestion pour les parents pas contents 😉 « je te prête ma classe 1h, pas le droit de te sauver »…
Julie dit
En effet, ça m’arrive d’avoir envie de le faire!!!
Le beauf dit
11. Prendre un cours d’auto-défense pour les rencontres de parents. Titre du cours: Le-jab-surprise-pour-l’esto-d’parent-qui-pense-que-parce-qu’il-a-deux-enfants-il-peut-te-dire-comment-faire-ta-job-à-toi-qui-enseigne-depuis-plus-de-10-ans.