Tu enfiles ton pyjama, celui qui te rentre dans la craque parce que tu grandis trop vite… Tu parcours la maison, enjoué, tu te colles à moi comme pour commencer à me dire au revoir. Tu comprends que la journée s’achève et inconsciemment, ça te fait du bien.
Tu t’amuses à refermer ta bouche quand je tente de brosser tes dents. Tout fier, tu fais pipi debout, comme les grands. Tu pars à la recherche de tes compagnons en peluche sans lesquels le sommeil ne parviendra pas à te trouver. Tu grimpes dans ton lit avec l’agilité d’un petit primate. Peu préoccupé par la disposition de ton oreiller, tu te places souvent les pieds en haut et la tête en bas. Tu te roules dans les couvertures pendant que je tourne les pages du livre que tu as choisi.
Juste avant que je te quitte, tu me sers, plus fort que d’habitude, bien plus fort qu’en plein jour. Je dépose sur tes joues de multiples baisers et tu mouilles les miennes de tes petites lèvres humides.
Je quitte ta chambre sur le bout des pieds, en te disant au revoir. Tu me réponds, de ta candide voix d’enfant.
– Bonne nuit maman, et sutout, fais des beaux wêves!
Puis j’attends. J’entends tes petits pas dans la chambre et j’attends que tu t’endormes. Quand le silence s’installe, que plus rien ne bouge dans tes quartiers, alors je reviens. Je ne peux pas y résister. J’entrouvre la porte, sans faire de bruit, et je m’agenouille près de toi pour sentir ton souffle chaud, contempler ton visage écrasé contre ton matelas.
Je caresse tes joues du bout des doigts, alors que les pensées se bousculent dans ma tête.
Quand je te borde, je suis fascinée par ton immobilité. Toi qui, il y a quelques heures, criais comme un Tyrannosaure, courais dans le couloir, te faufilais sous mon lit. Toi qui gesticulais comme un ver sur ta chaise à l’heure du souper, qui faisais déborder le bain à force d’y faire plonger tes requins. Te voilà immobile et entièrement à ma merci.
Quand je te borde, je voudrais parfois te réveiller. Je me rends soudain compte que tu me manques. Que, dans ma grande journée de travail, je n’ai pas eu une minute pour penser à toi. Et que même une fois à la maison, je ne me suis pas arrêtée pour te contempler. Je t’ai écouté d’une oreille raconter ta journée en conduisant. J’ai interrompu quelques fois la préparation du souper parce que tu criais après ton frère qui te répétait sans cesse que tu n’étais pas un VRAI chien, alors que tu voulais jouer à faire semblant. J’ai regardé les jouets que tu venais me montrer d’un seul œil parce que mon autre se portait sur les devoirs de ton aîné.
Tu as pris ton bain comme un grand, pendant que je terminais une brassée de blanc.
Quand je te borde, parfois je regrette. Je regrette de n’avoir pas pris plus de temps avec toi. Je regrette de m’être emportée quand tu voulais m’aider avec le souper et que tu as tout renversé… Je regrette, surtout en périlleuse période de SPM, d’avoir pris les nerfs quand tu as déroulé un rouleau complet de papier toilette dans la cuvette et de n’avoir pas su garder mon calme quand tu as fait flotter un superbe étron dans ton bain… Ça ne valait pas une colère. Il m’arrive, dans cette vie qui va vite, d’oublier que tu es en période d’apprentissage, de probation, et que la patience est de mise avec toi qui fais tes premiers pas dans notre monde.
Je replace une petite mèche qui tombe sur tes paupières closes. Tu gesticule un peu et tu entrouvres les yeux. Tu me souris vaguement avant de les refermer. Je suis en admiration totale devant ce savant mélange de nous deux.
Quand je te borde, je scrute ton visage et je tente de comprendre. Tu es un peu moi. Un peu lui. Et un peu autre chose. Je reconnais ma bouche, je reconnais ses cheveux. Je m’émerveille devant ce fabuleux mélange inédit que je n’aurais jamais pu concevoir par moi-même et qui, pourtant, a été tissé dans mes entrailles.
Quand je te borde, je voudrais parfois te jeter un sort, t’obliger à être heureux. Je ne sais pas ce qui t’attend dans les années à venir. Je ne connais pas les belles ou moins belles rencontres que tu feras, les paroles qui te rendront fort ou te blesseront… Je voudrais que ton bonheur soit insubmersible. Je pense à ces mamans dont les enfants ont arrêté de vouloir vivre. À ceux qui ont voulu retourner à l’expéditeur le cadeau de la vie dont ils ne voulaient plus.
Je n’y pense pas trop longtemps, ça fait trop mal. Je me mets à prier pour effacer mes peurs. Parce que je sais que les mamans ne peuvent pas tout contrôler. Je sais qu’il me faudra m’en remettre à plus grand que moi.
Je sais que tu grandiras, que tu m’appartiendras de moins en moins. Et moi, pourtant, je serai toujours accrochée à toi, vulnérable jusqu’à ma mort. Un jour, tu seras trop grand pour que je puisse te porter, te protéger. En attendant, je me réjouis de savoir que tu as encore besoin de moi. Que tu te lèveras demain et que tu me réclameras. Que tes « MAMANS! » envahiront à nouveau la maison.
Quand je te borde, je pense parfois à ces enfants d’ailleurs qui s’empilent sur le sol, sans matelas et sans couverture. À ceux qui s’endorment le ventre vide. Alors je me réjouis, malgré ses imperfections politiques, de t’avoir fait naître dans notre beau pays.
Je déroule ta couverture qui s’est emmêlée entre tes jambes et je te recouvre jusqu’au bout des orteils.
Quand je te borde, je me dis parfois que je te connais encore si peu. Je me demande si ce monde te conviendra. Je me demande si tu seras comme les autres. Si l’école sera faite pour toi.
Je dépose un dernier baiser sur ton front et l’amour qui déferle en moi me fait presque mal.
Les incertitudes se taisent. Tout ce que je sais, ce que je sens, c’est à quel point je t’aime.
Quand je referme ta porte, sans faire de bruit, je n’ai plus peur. Je peux, à mon tour, aller trouver le sommeil.
Merci Studio Juzolie pour l’image de ce bel enfant paisible!
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J ai juste un mot a dire ! Magnifique!
Tout est dit , et c est exactement mes ressentit, mes joies, mes craintes….. Merci
Merci! Merci, d’avoir publié un si beau texte. Je suis jeune grand maman et il me fait plaisir de pouvoir partagé ceci avec toutes les nouvelles maman de mon entourage,
Prenons le temps d’aimer nos petits trésors , car la vie est si vite passé.
Mon dieu !! Je suis le papa et j’ai cette meme habitude, c’est les larmes aux yeux que je quitte la chambre de ma fille chaque soir en me disant « demain je vais te consacrer plus de temp et d’energie. » Quand au fond je sais qu’elle s’endore sachant que je l’aime plus que tout. Tres beau texte, tres touchant merci.
OMG à toutes les fois que je prend le temps de te lire je viens les yeux rempli d’eau. J’aime tellement comment tu mets en mots les émotions qui n’envahissent à chaque fois aussi. Je regrette moi aussi à plusieurs reprises des envolées inutiles ou les caresses non administrés. Je suis en un papa présent qui voudrait l’être encore plus
Merci Julie pour ce beau texte
Ouf!!! Que c’est touchant cette lecture ce soir! Je me reconnais beaucoup dans ce que vous avez écrit, raison pour laquelle sans doute j’ai une petite larme à l’oeil en ce moment. J’ai une petite fille, et chaque soir, je ne peux pas m’empêcher d’aller la regarder dormir. Il m’est IMPOSSIBLE de passer tout droit devant sa porte de chambre, il me manquerait ce petit quelque chose d’unique. Ce moment où je peux la voir abandonnée, respirer le parfum de ses cheveux et lui donner de tous petits bisous sans qu’elle se réveille (elle a un sommeil de plomb 🙂 ) . C’est un de mes moments préférés..