Il existe des emplois dans lesquels la description des tâches est très clairement définie. D’autres où elle l’est moins…
Quelles sont donc les tâches qui reviennent à un(e) enseignant(e)? Je ne voudrais pas avoir à en faire la liste! Comme on a affaire à des êtres humains, vulnérables de surcroît, il est parfois bien délicat d’avoir à tracer la ligne entre « je le fais » ou « je ne le fais pas »…
La plupart du temps, on s’applique à répondre aux besoins, tâche ou pas. Par réflexe. Par compassion. Par instinct. Par amour.
Mais il arrive quand même de ces moments où on regarde la situation en se disant « Voyons, il me semble qu’un professeur ne devrait pas avoir à faire ça!!! ».
Pire, il nous arrive aussi de constater que, malgré nos meilleures intentions, il existe une longue liste de choses que nous ne serons JAMAIS capables d’accomplir…
Voici donc 5 choses que les profs ne peuvent (ou ne devraient) pas faire :
- Diagnostiquer
On ne se le cachera pas, les professionnels font cruellement défaut dans nos écoles! Les psychologues, ergothérapeutes, orthopédagogues et autres experts ont déserté les lieux… Les listes d’attentes dans les CLSC et hôpitaux n’acceptent que les cas les plus graves.
À noter ici que faire des fugues, se faire intimider ou cracher sur les gens n’est pas considéré comme « grave »… Ça prend du sang! Beaucoup de sang pour être un cas « grave » digne des services publics.
Quand un enfant qui ne fait pas couler le sang nous semble clairement avoir « quelque chose » qui cloche et qu’on sait que les parents ne peuvent ou ne veulent pas payer pour une évaluation, que faisons-nous alors?
Nous faisons semblant de nous y connaître! Qui peut nous en blâmer? On entre dans le festival des suppositions… Ça ressemble à mon cousin Asperger… C’est sûrement de l’anxiété chronique… Il a probablement un TDAH avec opposition, comme son frère…
On ne le fait pas parce qu’on désire le faire. On le fait par défaut parce qu’on sait il n’y a personne de qualifié qui le fera…
Bien sûr, on se fera taper sur les doigts pour avoir dit les mots « autiste » ou « dyslexique » sans la présence d’un noble expert!
Et avec raison…
Ça ne devrait jamais avoir à se passer comme ça.
- Gérer les vêtements, la nourriture et l’hygiène des enfants…
J’ai déjà prêté mes mitaines, mon foulard. Donné en secret les pantalons de mes enfants.
J’ai souvent passé des récréations à serrer contre moi des enfants vêtus de manteaux de printemps et de petits gants magiques à -4000 degrés Celsius. À défaut de pouvoir les habiller autrement, je tenais leurs mains entre les miennes et je les gardais contre moi.
J’ai déjà refilé en douce mon coupe-ongle à un élève pour qu’il puisse raccourcir régulièrement ses longs ongles noirs que les autres commençaient à remarquer.
J’ai mouché des nez, nettoyé des bouches collantes. Attaché des queues de cheval qui n’avaient pas tenu la route.
J’ai donné mes propres collations. Souvent. Une année, il était tellement fréquent que les enfants arrivent sans boîte à lunch que j’ai installé une réserve de biscuits soda et de pommes près de mon bureau.
Si vous saviez le nombre de courriels que je reçois me demandant de partir à la recherche d’une veste, d’une tuque, de nouvelles bottes très très chères, de la robe échangée par mégarde avec une camarade après le cours d’éducation physique…
Parfois des messages courtois et gentils :
« Si vous avez une minute, il serait très aimable de votre part de demander à Gaston d’aller vérifier aux objets perdus si sa veste y est »…
Parfois, des messages moins gentils :
« Ça fait au moins 3 fois que Gaston revient à la maison sans sa tuque!!! On paye très cher ses vêtements alors si ce n’est pas trop vous demander, on aimerait qu’il les ramène! »
Je me souviens avoir senti la pression monter devant ces messages parce que, très honnêtement, je n’avais aucune espèce d’idée de l’endroit où pouvait se trouver la tuque ni le temps de partir à sa recherche!
Puis un jour, j’ai réalisé que je n’avais pas à me sentir responsable ou coupable… Ce sont les enfants que l’on doit responsabiliser!
Mon fils perd ses choses tout autant que les autres. Comme tous les parents, cela m’exaspère et me fait sauter au plafond à l’occasion. Mais il ne m’est JAMAIS venu à l’idée de demander des comptes à son enseignante pour sa négligence. J’ai plutôt instauré des conséquences, des systèmes de motivation pour lui apprendre à gérer ses affaires!
Est-ce que je blâme les employés du cinéma quand j’y oublie ma sacoche?
- Connaître l’horaire détaillé de chaque enfant et se rappeler tous les rendez-vous.
Au départ, je voulais tout retenir, tout savoir. Ne rien oublier. Faire sentir aux parents que j’étais en contrôle!
Jouer à Miss Parfaite.
Jusqu’à ce que je réalise que je ne pourrais pas y arriver. Me souvenir que Roger doit faire son sac à 10h34 parce qu’il a un rendez-vous chez le dentiste lundi. Que Magalie doit exceptionnellement aller au service de garde un mardi sur deux. Que le vendredi, Stéphane doit apporter sa valise parce qu’il va chez son père la fin de semaine. Que le jeudi 4 septembre, Olivier n’a pas besoin d’apporter son sac parce qu’il va dormir chez un ami. Que lundi, Aurélie dort chez sa gardienne…
Qui va chez maman, qui va chez papa? Et pour combien de temps! ?
Qui prend l’autobus, qui part à pied, qui doit rejoindre son papi au coin de la rue à 14h05.
I.M.P.O.S.S.I.B.L.E! J’ai déjà toutes mes activités à prévoir, à gérer, à évaluer, à corriger. Mes rencontres de comités, mes projets à monter, mes plans d’interventions à élaborer.
Même si je le prends en note, je n’ai pas une minute pour regarder mes notes quand je suis en présence de mes élèves!
Alors j’ai arrêté d’essayer. Quand on m’avise, je m’assure que ça ne crée pas de problème à l’horaire. Je prends en note les travaux qui seront à reprendre, puis j’efface les données de mon cerveau.
S.V.P., ne soyez pas outrés si vous devez venir chercher votre petit Arthur en classe parce que je n’ai pas pensé de l’envoyer au secrétariat pour 14h27. Ou si je ne reconnais pas son papi qui vient le chercher une fois par mois.
J’aurais voulu… Mais je n’y arrive pas! J’ai le cerveau tellement plein que je le sens constamment sur le point de régurgiter les informations non-essentielles!
En revanche, j’essaie de me souvenir du visage de chaque parent (même s’il m’arrive encore d’en confondre certains) et je prends religieusement en note tout ce qui peut affecter les bonnes dispositions des enfants.
Pour moi, la gestion de l’horaire familial doit s’arrêter là!
4. Changer le programme!
« 1re année! C’est bien trop tôt pour faire de la résolution de problèmes! En France, ils n’en font pas avant la 3e! »
La quantité de mots de vocabulaire à apprendre ou la longueur des textes à écrire. JE NE DÉCIDE DE RIEN!
Présenter les notions de manière inspirante, variée, agréable, efficace, ça c’est mon travail! Mais je ne décide pas des contenus. C’est le travail du ministère.
Libre à vous de vous adresser à lui.
- Remplacer les parents.
Je n’ai même pas envie de devoir le faire. Je veux les aimer comme aime une enseignante. Je veux qu’ils s’attachent à moi juste assez pour qu’ils aient envie de donner le meilleur d’eux-mêmes.
C’est si facile quand les besoins affectifs des enfants sont comblés. Et heureusement, ils le sont souvent…
Tellement plus complexe quand ils ne le sont pas.
Quand il manque un parent. Quand ils sont deux, mais ne sont pas aptes à prendre soin. Quand les petits ont accusé des coups durs et que personne n’a cru bon s’en occuper.
Quand personne n’a su les protéger. Quand ils ont le sentiment profond d’avoir été abandonnés.
La relation qui s’établit avec leur enseignante devient alors très complexe. Elle est parfois difficile. Qui peut les blâmer de nous envoyer leur révolte en pleine face?
Mais elle est parfois presque trop belle aussi. Certains enfants s’agrippent à nous avec l’énergie du désespoir.
«Je voudrais tellement que tu sois ma maman… »
Mais nous savons trop bien que notre passage dans leur vie est de courte durée. Que s’ils s’attachent trop, ils seront blessés à nouveau.
Abandonnés en juin.
Je ne pourrai jamais remplacer une maman. Je ne donnerai pas le bisou du soir. Je ne chanterai pas les berceuses.
Je ne l’amènerai pas en vacances ni ne lui ferai à souper.
Je ne serai pas là pour toujours. Mon affection est éphémère. Je suis temporaire.
Je suis insuffisante.
Un papa, une maman, c’est irremplaçable.
Ce n’est pas demain la veille qu’une réelle « description des tâches » sera pondue pour les enseignants. En attendant, il faut savoir mettre nos propres limites.
Nous n’avons pas tous les mêmes, ne voyons pas tous les choses de la même manière. Mais il reste que de manière universelle, je ne crois pas qu’il nous revient de diagnostiquer, materner, laver. De gérer les horaires des familles et de décider des contenus d’apprentissages.
Voilà qui peut, dès à présent, être retiré de nos fragiles épaules!
En faire moins, mais le faire mieux.
N’est-ce pas là une superbe devise?
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Petit guide de survie de l’enseignant
J-F Touzin dit
Imaginez: tout ce qui est écrit là, à quelques variantes près, s’applique aussi à l’éducation des adultes!!! Je vous le jure! J’ai fait ou j’ai vu mes collègues faire tout ça! Des ongles noirs aux foulards, des rendez-vous chez le doc pour une césarienne en cachette des parents ou des programmes complètements inadaptés aux élèves en difficulté d’apprentissage (95% de notre clientèle). Tout ça, je l’ai vu! Remplacer les parents? Tous les jours! Et que dire des diagnostiques!!!! Notre clientèle est celle qui n’a pas fonctionné dans le système normal. On ne fait que ça!!
Merci pour le texte. Ça fait du bien de voir qu’on est tous pareils, un peu cinglés sur les bords, mais tout aussi fiers de nous et de notre travail.
une intervenante dit
Effectivement comme professeur vous en prenez beaucoup sur vos épaules, mais combien vous êtes utiles et aidants dans le développement de ces petits cocos. En tant qu’intervenante, j’apprécie tellement votre soutien auprès de ces enfants qui ont tellement besoin de chaleur, douceur et réconfort. On vous le dit peut être pas assez souvent, mais MERCI de donner le meilleur de ce que vous pouvez.
Roxane dit
Si vous saviez comment ça me fait du bien de vous lire.
Merci pour vos textes.
Marc Thiffeault dit
Bonsoir Julie,
J’ai très apprécié votre article. Celle-ci m’inspire à vouloir la traduire en Anglais et en Crie et l’adapter à la situation d’un enseignant d’éducation physique au nord du Québec dans une petite communauté autochtone. (200 élèves)
Je suis aussi père de 2 petites filles de 5 et 7 ans qui suivent les enfants Cries dans le système scolaire et d’une conjointe enseignante de 3ième année du secteur français dans cette même communauté.
Je m’abonne ! 😉
Marc Thiffeault
Marc dit
Bel article Julie…
J’enseigne un métier en formation professionnelle et je dois t’avouer que l’on vit un copier-coller des différents problèmes mentionnés dans ton article.
Les enseignants deviennent des conseillers matrimoniaux, travailleurs sociaux, conseillers financiers.
Bref, ce lien de confiance fait de nous la personne – ressource par excellence.
Le lien établi avec l’enseignant demeure une belle preuve de la chimie possible entre 2 étrangers en une période relativement courte, à peine 9 mois, durée du cours que j’enseigne.
Oui il n’existe aucune description de tâche à notre métier, mais ca demeure une belle preuve de confiance que nous témoigne ces jeunes et malgré certains désagréments passagers, on conserve une certaine fierté d’avoir assumé un certain rôle à un moment donné dans leur existence…
Julie dit
Oui, comme dans tout acte altruiste, il y a là quelque chose de beau et de très précieux. L’important, c’est d’éviter la pression, celle qui nous mine et nous met K.O…. Il faut toujours savoir qu’on a le choix et quand on décide d’aller au delà de notre travail, le faire de bon coeur parce qu’on a « choisi » de le faire.
Alex dit
Même si vous ne donnerez pas le bisou du soir, que vous n’amènerez pas cet enfant qui s’est attaché à vous, je crois qu’il comprend quand même que « l’abandon » du mois de juin s’en vient et qu’il va le vivre plus ou moins bien, mais qu’il va surtout mieux se construire grâce à « l’amour de l’enseignante » que vous lui/leur aurez témoigné pendant toute l’année scolaire.
Votre texte le dit, pas coupable, pas responsable. Mais peut-être que le fait d’écrire ce texte est malgré tout une façon d’enlever ce petit sentiment de culpabilité qui persiste, celui de la Miss Parfaite du début.
Quand les parents ne sont pas là, ou là mais comme pas là, au mieux pas aptes, au pire carrément nuisisbles, oui, pour le développement de l’enfant, instinctivement ce dernier ne va pas chercher à remplacer ses parents par un ou plusieurs enseignants. Mais d’avoir ce sentiment d’être aimé, au moins à l’école, et de pouvoir ressentir cette affection envers d’autres figures adultes va l’aider.
Je crois que si ça n’avait été de mes enseignants à l’école primaire, j’aurais mal tourné, je n’aurais pas pu apprendre à faire confiance. Ils n’ont jamais fait ou donné plus que ce qu’un enseignant peut donner quand il aime ses élèves. Mais ça a suffit pour atténuer, minimiser les conséquences, les séquelles, même si oui, il y en a, il en reste.
Aussi, je ne pense pas que votre affection soit temporaire. Quand on aime, on aime, point. C’est seulement que vous ne pourrez pas la manifester directement quand l’enfant aura changé de classe, d’école. Ce qui compte pour un enfant, c’est cette affection dans l’instant, dans la relation avec vous. L’affection est intemporelle en fait. Et ça, il va le sentir, et il va grandir avec.
Bref. J’ai eu bien de la chance d’avoir eu quelques enseignants auxquels je me suis attaché, je savais que j’allais en changer l’année suivante ou que tel prof s’en allait dans une autre école, triste, mais pas désespéré, on le sait, on sait que c’est juste qu’on « aimerait bien que », une fantaisie. Ils ont été là de septembre à juin dans les faits, mais ils ont énormément compté, tout le temps, des années plus tard encore.
Je dois dire que les parents semblaient moins prompts à critiquer le travail des profs, et qu’ils n’avaient pas cette croyance que l’éducation ça se passe à l’école et que c’est aux profs de tout leur apprendre, y compris à être responsables de leurs affaires etc.
Hélène Bilodeau dit
C’est très beau ce que vous écrivez. Merci.
yolande dufour dit
Comme je te comprends. Trois de mes enfants sont professeurs et ce n’est pas toujours facile.